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MUSICIENS FRANÇAIS.

l’hésitation d’un homme qui a conscience de son impuissance à réaliser le but qu’il s’est proposé ; le genre bouffe où il s’est fourvoyé l’inquiète et le presse, et, dans son embarras, il s’efforce à tout moment d’en sortir par les échappées d’une sentimentalité larmoyante. La musique de l’Éclair est de la musique bouffe à peu près comme les pièces de Kotzebüe sont des comédies.

Il semble que le temps était venu pour M. Halévy de rassembler toutes ses forces dans une œuvre sérieuse, et de justifier, au moins par son mérite, le rang où la détresse de l’école française lui a permis de s’élever : jamais occasion ne fut plus belle à saisir. Grâce à l’influence personnelle qu’il s’est acquise sur l’administration de l’Opéra, M. Halévy avait sous sa main les plus vastes ressources dont un musicien puisse disposer : un orchestre immense, des chœurs nombreux, et par-dessus tout, la voix de Duprez, ce trésor qui ferait envie à Rossini. En outre, M. Halévy se trouvait, vis-à-vis du public, dans la position favorable d’un homme que le succès a déjà consacré. Or, avec tout cela, l’auteur de la Juive n’a su faire que Ginevra, c’est-à-dire la plus triste partition qu’il ait produite encore. Tant d’élémens inappréciables d’action ont avorté misérablement dans ses mains. Les partisans de M. Halévy, frappés eux-mêmes de l’impuissance qui se trahit à chaque mesure de cette partition, se sont efforcés d’y donner pour excuse la rapidité singulière avec laquelle ce travail avait dû être conduit : à les en croire, M. Halévy se serait laissé surprendre par le temps, et le travail sérieux n’aurait guère commencé pour lui qu’à dater du jour des répétitions. Voilà une manière d’agir sans façon avec le temps, et des airs dégagés qui sentent d’une lieue l’homme de génie. On sait que Mozart écrivit l’ouverture de Don Juan, sur une table de taverne, au milieu des bruyans propos de ses compagnons avinés, et la nuit qui précéda le jour de la représentation ; mais les fières boutades d’un maître sans égal ne peuvent convenir nullement au talent curieux de M. Halévy, qui a besoin, pour se produire, de méditations et de veilles laborieuses. Quoi qu’il en soit, Ginevra ne se recommande pas même par les qualités de style qui, dans la Juive, vous attirent et fixent votre attention à ses momens de loisir. Quant à la mélodie, il n’en peut vraiment être question, attendu qu’il n’y en a pas l’ombre. La belle fleur des jardins d’Italie ne vient pas dans le champ que M. Halévy laboure ; tout cela est commun, diffus, et dénué de ces qualités d’ordre et de succession qui servent au besoin d’excuse à la monotonie. En vérité, quand on entend ces formules banales, ces rhythmes traînés dans la rue, ces phrases sans expression et sans