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faut de beaucoup que ce soit un bon livre. Il ne s’agit pas de contester un fait accompli, mais bien de l’expliquer. Or, à notre avis, la puérilité de l’œuvre du poète a trouvé, dans la puérilité du goût public, un puissant auxiliaire. M. Hugo, en écrivant Notre-Dame de Paris, a consulté les instincts de son temps, et c’est pour les avoir consultés qu’il a réussi. Il est très vrai que la France, il y a sept ans, aimait le spectacle, et préférait la poésie qui se voit à la poésie qui se comprend. C’était là, sans doute, un goût dépravé, un goût que les hommes éclairés combattaient de toutes leurs forces ; mais ce goût était celui de la majorité, et la majorité devait applaudir Notre Dame de Paris. Aujourd’hui, le goût public a changé ; la majorité, instruite par la discussion, s’est ralliée à l’opinion de la minorité, et demande à la poésie autre chose que le plaisir des yeux. Aussi le mérite poétique de Notre-Dame de Paris est-il remis en question.

Cependant il ne faudrait pas se laisser emporter trop loin par cette réaction. Si Notre-Dame, en effet, n’est pas un beau livre dans le sens le plus élevé de ce mot, il ne faut pas oublier les qualités éclatantes qui distinguent cette œuvre ; il y aurait injustice à les méconnaître. À parler franchement, la pierre et l’étoffe sont les principaux, je devrais dire les seuls acteurs de ce livre. Mais jamais la pierre et l’étoffe n’ont été mises en scène avec plus de splendeur, plus de magnificence ; jamais la langue n’a trouvé pour les peindre des ressources plus abondantes, plus variées. Si la pierre et l’étoffe ne peuvent remplir le cadre d’un roman, ce n’est pas une raison pour méconnaître le mérite pittoresque de M. Hugo. Dans la peinture, comme dans la poésie, dans toutes les grandes écoles, depuis la florentine jusqu’à la flamande, l’homme joue le premier rôle ; la pierre et l’étoffe ne sont, pour Raphaël, Paul Véronèse et Rubens, que des parties secondaires de la peinture. Oui, sans doute ; mais il est juste de proclamer que M. Hugo a traité ces parties secondaires avec une habileté de premier ordre.

L’importance accordée à la pierre et à l’étoffe devait inévitablement entamer, sinon effacer, l’importance de la personne humaine ; et, en effet, dans Notre-Dame de Paris, l’homme n’est qu’un point sur la pierre ; il remplit l’étoffe et sert à la montrer. Il est évident que l’auteur s’accommoderait bien plus volontiers de la cathédrale sans le diacre et le sonneur que du diacre et du sonneur sans la cathédrale. Quasimodo et Claude Frollo sont d’un bon effet sous les voûtes de l’église, sur la galerie qui unit les deux tours, sur la dentelle qui les