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détails de cette procédure bizarre. On mettait d’abord en jugement plusieurs jeunes filles à qui l’on reprochait d’avoir apporté de l’eau pour arroser la pierre à aiguiser. Les jeunes filles rejetaient la faute sur l’esclave qui avait repassé la hache ; celui-ci s’excusait en inculpant le prêtre qui avait frappé le bœuf ; le prêtre, enfin, renvoyait l’accusation à la hache, qui, n’ayant rien à alléguer pour sa défense, était condamnée et jetée dans la mer[1]. Le prêtre qui remplissait le personnage principal dans ce drame, recevait le nom de βεφόνος, meurtrier du bœuf, d’où quelques grammairiens font venir notre mot bouffon, étymologie fort contestable, et rejetée par Ménage.

CHANSONS POPULAIRES.

Dans toutes les représentations demi-hiératiques et demi-populaires dont je viens de parler, ainsi que dans beaucoup d’autres que je n’ai pu même indiquer, les acteurs tirés de tous les ordres de citoyens employaient deux espèces de chants : 1o  des chants improvisés ou tout au moins nouveaux, comme dans les chœurs dithyrambiques, cycliques, etc., pour lesquels il y avait des concours et des prix ; 2o  des chants anciens et traditionnels, à l’usage de chaque circonstance et de chaque profession. En effet, outre les chansons bucoliques des pâtres, des moissonneurs, des journaliers, etc., chaque corps de métier dans les villes avait sa chanson particulière. Il y avait le chant des baigneurs, celui des tisserands, nommé elinos et mentionné dans les Atalantes d’Épicharme ; il y avait la chanson des tisseurs de laine, celle des boulangères, celle des ouvriers qui tournent la meule ; il y avait encore celle des gens qui tirent de l’eau des fontaines et celle des bateliers et des rameurs[2], probablement dans le goût de nos barcaroles.

Ces artisans chanteurs rappellent nos poètes populaires, tels que Burns, maître Adam, et, mieux encore, les francs-chanteurs ou maîtres-chanteurs de l’Allemagne au moyen-âge.

Il n’y avait pas même jusqu’aux nourrices qui n’eussent une chanson pour bercer les enfans. Platon loue ces chants des nourrices, et il ajoute que le rhythme et l’harmonie sont si nécessaires au développement de l’âme et du corps qu’il voudrait que les enfans, dès leur naissance, reçussent un mouvement continuel et fussent dans les maisons aussi agités qu’un vaisseau bercé par la mer.

Qu’on ne s’étonne pas de trouver ainsi en Grèce des chants pour chaque état. Tout, dans cette patrie des Muses, se faisait aux accords de la musique. Les citoyens d’Athènes désignés pour remplir les fonctions de juges, se rassemblaient avant le jour, au son de certains vieux cantiques, et se ren-

  1. Porphyr., De abstinent., lib. ii, cap. XXX.
  2. Ascon. Paedian., Divinat. contr. Verr., pag. 29. — Quintil., lib. i, cap. X, § 16. — Les sauvages même ont des chants inspirés par le mouvement des vagues : « Les conducteurs de pirogues, dit Bowdich, ont des airs particuliers qui ressemblent au chant d’église, mais qui tiennent à l’inspiration du moment ; il serait très difficile de les retenir. » Voyage au pays d’Achantie, pag. 475.