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ORIGINES DU THÉÂTRE.

scènes dont aucun écrivain de l’antiquité ne parle que par voie d’allusion[1]. Toutefois l’existence sur les vases grecs, de peintures relatives aux initiations est incontestable. On a pu voir, notamment dans le cabinet de M. Durand, plusieurs de ces peintures qui représentent évidemment des personnages et des sujets mystiques[2]. Il faut donc de deux choses l’une, ou que ces vases fussent destinés eux-mêmes au culte secret, ou que toutes les particularités des mystères ne fussent pas également soumises à la loi du silence. Je crois fermement, pour mon compte, que le secret sur les mystères d’Agræ, et plus tard sur ceux de Bacchus, ne fut que médiocrement obligatoire. Aussi pensé-je qu’on peut admettre l’hypothèse de M. Christie sous la réserve de ne l’appliquer qu’aux petits mystères. L’opinion de cet écrivain, réduite à ces termes, offre encore un assez vaste champ aux découvertes et permettrait de reconstituer, à l’aide des figures peintes sur ces vases, une curieuse série de drames ésotériques usités dans les initiations[3].

Mais l’existence du drame hiératique admise, quel fut le mode de ces représentations ? Étaient-ce des tableaux purement visuels, ou bien y avait-il des chants, des paroles et des acteurs ? M. Christie avance que ces représentations étaient exécutées au moyen de toiles transparentes dans le genre de celles qui servent aux ombres chinoises[4], ou par de certains effets d’optique semblables à ceux que produit la lanterne magique. Je crois impossible d’établir ou de combattre ces assertions par des argumens bien solides. Mais ce qui ne me paraît pas douteux, c’est que si de tels moyens d’illusion furent employés, ils ne le furent pas seuls. L’idée du chant était inséparable de celle d’initiation : nous venons d’entendre dans Aristophane les voix des initiés. On sait de plus qu’on exigeait de l’hiérophante et de l’hiérophantide un organe doux et sonore[5]. Il est certain aussi qu’il y avait des danses dans le sanctuaire et autour du puits de Callichore[6]. Je lis dans Lucien : « Orphée et Musée, les plus excellens danseurs, en instituant les mystères, ont ordonné qu’on ne pût expliquer les choses saintes sans la danse et le rhythme. C’est ainsi que cela se pratique ; mais il ne faut pas révéler ces secrets aux profanes. Cependant personne n’ignore qu’on dit communément de ceux qui parlent de ces choses en public, qu’ils dansent hors du lieu sacré[7]. »

  1. Plusieurs auteurs anciens ont cependant écrit sur les mystères des traités qui malheureusement sont perdus. Voyez dans la préface des Eleusinia de Meursius une liste de ces auteurs, qui est loin d’être complète.
  2. Voyez surtout, dans le Catalogue du cabinet de M. Durand, le no 430, pag. 163 et suiv.
  3. M. Bœttiger prétend que les scènes dramatiques peintes fréquemment sur les vases grecs se rapportent aux sujets épisodiques traités par les cyclodidascalies prédécesseurs ou contemporains de Thespis (De quatuor ætat. rei scen., pag. 5 et 6.). Il semble, en effet, que ces figures, ne portant ni le masque, ni le cothurne, ni rien de ce qui a distingué l’appareil scénique depuis Eschyle, ne peuvent se rapporter qu’aux représentations hiératiques ou aux chorodidascalies du temps d’Épigène et de Thespis.
  4. Disquisitions upon the painted greck vases, pag. 36.
  5. Philostr., Vit. Sophist., lib. ii, cap. xx, pag. 601. — Brunck, Analect., tom. III, pag. 315, no 750. — Jacobs, tom. III, pag. 115, part. II. — Sopatr. Div. quæst., pag. 388, ed. Ald.
  6. Pausan., Attic., cap. XXXVIII, § 6.
  7. Lucian., De saltat., cap. XV.