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étrangers à l’Attique, et, dans la suite, des Barbares même furent admis. On appelait proprement mystes les initiés aux petits mystères. Ce premier degré était une sorte de purification et de préparation nécessaires pour parvenir aux grands. On appelait époptes ceux qui participaient à la dernière initiation. Du temps d’Aristophane, tout habitant d’Athènes aurait regardé comme un malheur de mourir sans s’être fait initier[1]. Cette opinion remonte même beaucoup plus haut. On lit dans l’hymne à Cérès qui porte le nom d’Homère :

« Heureux entre les mortels celui qui a vu ces choses (la célébration des mystères d’Éleusis) ; mais quiconque n’est pas initié et ne participe point aux saints mystères, ne jouira jamais d’une pareille destinée, car il est mort dans d’horribles ténèbres[2]. » Et dans un fragment de Pindare : « Heureux celui qui descend sous la terre creuse après avoir vu ces choses, car il sait la fin de la vie, et il connaît aussi le royaume donné par Jupiter[3]. »

Le silence que les mystes juraient d’observer sur tout ce qu’on enseignait dans le sanctuaire était ordonné sous peine de mort ; mais le secret des grands mystères d’Éleusis, confié seulement à un petit nombre d’adeptes, dut être beaucoup mieux gardé que celui des petits. Aussi, suivant moi, presque tout ce que nous savons des rites secrets d’Éleusis ne se rapporte-t-il qu’à ces derniers.

PETITS MYSTÈRES.

Le temple où se célébraient les mystères annuels était situé sur les bords de l’Ilissus, dans un lieu nommé Agræ. Ce temple était consacré à Cérès et à Proserpine, et plus particulièrement à celle-ci, sous les attributs d’Hécate. Dans les cérémonies de l’initiation, on a conjecturé que la vanité des prêtres se complaisait à exposer la naissance des arts et les bienfaits de la civilisation qu’ils avaient répandus dans la Grèce. M. de Sainte-Croix pense même que cette démonstration de l’état sauvage où avaient été plongés les Pélasges et les Hellènes, se faisait d’une manière sensible et dramatique. Il croit qu’on dépouillait le récipendiaire de ses vêtemens[4], puis qu’on le couvrait d’une peau de faon, dont il se faisait une ceinture[5]. Mais ce dernier rite, qui paraît mieux approprié au culte de Bacchus qu’à celui de Cérès, pourrait bien ne s’être introduit à Éleusis qu’après la réunion des mystères de Bacchus à ceux des déesses.

Rien, dit Cicéron, n’est au-dessus des mystères d’Athènes. Ils ont adouci nos mœurs et nous ont fait passer de l’état sauvage à la véritable humanité. On les a nommés initia, parce qu’ils nous ont initiés aux vrais principes sociaux… Non-seulement ces mystères nous ont enseigné les moyens de vivre dans la joie, mais ils nous ont encore appris à mourir avec une meilleure espérance[6]. » Nous trouvons dans Isocrate ce double éloge des institutions

  1. Du moins aux petits mystères. — Aristoph., Pac., v. 375.
  2. Homer., Hymn. in Cerer., v. 480, seqq.
  3. Pind., tom. III, pag. 1258, ed. Heyn.
  4. M. de Sainte-Croix, Recherches sur les Mystères, tom. I, pag. 347
  5. Harpocr., voc. Νιβρίζων.
  6. Cicer., De legib., lib. ii, cap. 4, § 36.