Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/692

Cette page a été validée par deux contributeurs.
688
REVUE DES DEUX MONDES.

conservé distinct, qu’il est bien difficile de suivre et d’étudier l’idée nouvelle sans tenir compte de cet antécédent dont elle charrie encore aujourd’hui l’écume. Ce n’est pas tout : il y a encore une autre cause, je dirai volontiers une autre loi qui me commande cette excursion rétrograde. Je veux parler de la loi d’analogie. On a reconnu que les phénomènes littéraires se produisent constamment les mêmes dans des conditions semblables et sous des latitudes de civilisation correspondantes. Ces diverses époques de l’histoire poétique qui répondent aux diverses phases de la civilisation, sont comme en géologie les couches de même formation, selon l’heureuse expression de M. Ampère[1]. On voit quel précieux instrument d’investigation la découverte de cette loi met entre nos mains. Au moyen d’une époque bien étudiée, on peut en éclaircir une autre qui l’est moins. Supposons, par exemple, que nous ne sussions rien de l’origine du drame moderne ; supposons qu’il y eût absence de monumens, ce qui heureusement n’est pas, nous pourrions, en étudiant dans l’antiquité les origines du drame grec et romain, conjecturer la marche que doit suivre chez nous le génie dramatique, et deviner même, jusqu’à un certain point, quels furent le mode et la nature de son développement. Par bonheur, nous n’en sommes pas réduits à cette sorte de divination. Nous pourrons étudier directement l’histoire du drame au moyen-âge ; mais pour nous orienter dans les ténèbres de cette époque, pour assurer notre marche dans ces steppes vierges et peu frayés, il est utile d’examiner avec soin et de parcourir les routes analogues et plus facilement explorables du monde grec et romain.

Voici la question que je veux adresser à l’antiquité :

Avant l’établissement du théâtre public en Grèce et en Italie, et ensuite parallèlement à ce théâtre, n’y a-t-il pas eu quelque autre mode de développement dramatique ? Athènes et Rome n’ont-elles pas possédé d’autres drames que ceux de Sophocle et d’Aristophane, de Plaute et d’Accius ? Je dois, comme on sait[2], pour empêcher qu’aucun filon du génie dramatique n’échappe à mes recherches, diviser l’examen que je compte faire des sources théâtrales au moyen-âge en trois sections, la source hiératique, la source aristocratique et la source populaire. Pour m’assurer que ces divisions ne sont pas chimériques, je crois nécessaire, comme vérification préalable, de chercher si elles ne trouvent pas leurs analogues dans l’histoire de la poésie grecque et romaine. Je demande donc à l’antiquité si à côté de son glorieux théâtre officiel et national, qui a jusqu’ici, et à si juste titre, absorbé toute l’attention de la critique, elle n’a pas possédé d’autres manifestations scéniques ; en un mot, si elle n’a pas eu, elle aussi, le drame hiératique, le drame aristocratique et le drame populaire.

  1. De l’histoire de la poésie, Marseille, 1830, pag. 33.
  2. Voy. Revue des Deux Mondes, décembre 1834.