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ORIGINES DU THÉÂTRE.

trefait son modèle par la voix, par le geste, par l’habit, par le langage, par les élans simulés du cœur et les aveux qui semblent s’échapper de l’ame.

Cet instinct mimique, source du drame, est de tous les lieux, de tous les temps, de toutes les civilisations. Les voyageurs ont signalé de petites actions dramatiques au Mexique, au Pérou, chez les sauvages de l’intérieur de l’Afrique, chez les insulaires de la mer du Sud[1]. Niebuhr, les savans de la grande expédition d’Égypte, ceux qui ont accompagné Champollion le jeune, M. Belzoni, et plus récemment encore MM. Michaud et Poujoulat, ont trouvé non-seulement des conteurs, des almées ou danseuses, des faiseurs de tours, des psylles[2] et des joueurs de marionnettes, mais de véritables petits drames dans les cafés du Caire et dans les hameaux du Delta.

Les enfans de tous les pays se plaisent, dans leurs jeux, à sortir d’eux mêmes, à imiter les grandes personnes, à jouer les rôles de père, de général, de roi : ces peintures imparfaites de la société et des passions humaines les intéressent souvent plus vivement que leurs jeux favoris, la course en plein air et les exercices corporels. Aristote a signalé cette disposition de l’enfance ; ce grand observateur déclare l’homme le plus imitateur de tous les animaux[3]. Il a aussi remarqué l’existence du principe harmonieux, qui est en nous le pendant de l’instinct d’imitation ; seulement il a bien moins insisté qu’il ne le devait, suivant moi, sur les conséquences de cet instinct musical. Au reste, pour n’être pas injuste envers cet immense génie, il ne faut pas oublier que nous ne possédons qu’une ébauche incomplète de sa Poétique.

Dans la belle préface de son Cromwell, M. Victor Hugo a avancé que les trois genres de poésie qu’il admet d’ailleurs, comme tout le monde, l’épique, le lyrique et le dramatique, ont formé trois périodes dans l’histoire de la poésie humaine. Il pense que le genre humain dans sa jeunesse a chanté ses premières et fraîches émotions, qu’il a ensuite raconté les actions de son héroïque virilité, et qu’enfin, éclairé par le christianisme, qui lui révéla sa double nature céleste et terrestre, sublime et grotesque, il a, dans sa vieillesse, dramatisé la lutte du bien et du mal, du beau et du laid, sous la forme shakespearienne ou romantique, la seule qui soit vraiment le drame. D’autres critiques ont interverti ces époques et pensé que l’homme a commencé par le récit, témoin la Genèse, qui est, en effet, bien plus narrative que lyrique[4], puis qu’il a chanté, c’est-à-dire trouvé les rapports qui existent entre les sons, le rhythme et les mouvemens de l’ame humaine, et qu’enfin de l’union de ces deux genres il s’en est formé un troisième, qui est le drame. Je crois ces divisions par époques plus ingénieuses que vraies. Toutes les fa-

  1. Thom. Gage, Relations des Indes occidentales, 3e partie, chap. XVII, pag. 163-172. Garcilasso de la Vega, Comment. Reales, lib. ii, cap. XXIII. — Clapperton, Second Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, tom. I, pag. 103-108. — Sidney Parkinson, Voyage autour du Monde, tom. I, pag. 125 et suiv. — Cook, Second Voyage, tom. II, pag. 402 et suiv.
  2. Les almées sont des danseuses improvisatrices. Le mot almée en arabe signifie savante.
  3. Aristot., De Poet., cap. iv, § 2.
  4. Globe, tom. VI, pag. 155-158.