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gination, c’est-à-dire la puissance de recevoir, de rappeler, de combiner, d’agrandir des impressions reçues. Mais quand l’imagination devient le génie poétique et se fait créatrice, elle se subdivise en deux facultés nouvelles. La première, qui a l’œil pour organe principal, sait reproduire, en les épurant, les formes dont elle a conservé l’empreinte, de manière à faire naître dans les autres l’impression qu’elle-même a gardée : c’est ce que j’appelle le sens pittoresque. L’autre, moins répandue au dehors, s’aide plus de l’oreille que de l’œil ; elle sait traduire en sons clairs et distincts l’harmonie incessante qui bourdonne sourdement au dedans de nous ; elle sait régler le mouvement de ses strette sur les rhythmes variés que chaque passion imprime, selon sa nature et sa force, aux battemens du cœur et à la pulsation des artères ; elle ne peint pas les objets ; elle ne nous montre, par exemple, ni l’Océan, ni les lacs brumeux de l’Écosse, ni l’azur du ciel de Naples ; mais elle sait mettre notre ame dans la situation harmonique où la vue de ces objets nous plonge, de manière à nous forcer de nous rappeler leurs images : c’est ce que j’appelle le sens musical.

Ces deux sources du génie poétique coulent simultanément et entrent chacune pour une part dans toute œuvre de poésie, mais à des doses fort inégales. Tel genre reçoit plus de l’affluent pittoresque, tel autre plus de l’affluent musical. La dernière querelle du romantisme et du classicisme, et, en général, tous les dissentimens, tous les conflits en fait d’art et de goût, n’ont guère d’autre cause que la prédominance alternative de ces deux modes d’expression, dont l’un répond à quelque chose de plus matériel, de plus arrêté, de plus positif, l’autre à quelque chose de plus vague, de plus indéfini, de plus mystique : il y a entre l’expression musicale et l’expression pittoresque la différence de l’œil à l’oreille, du son à la forme.

Au reste, quoique aucun genre de poésie ne soit complètement exempt de cette dualité d’influence et d’origine, et que toute la différence ne soit que dans les proportions du mélange, cependant on peut dire que l’ode et le drame sont les deux produits extrêmes de ces deux élémens opposés. L’ode, dans ses vibrations les plus ravissantes, est presque toute musicale ; le drame, dans ses silhouettes ou ses reliefs les plus fortement caractérisés, est presque uniquement pittoresque.

L’épopée, qui de toutes les sortes de poésie est la plus compréhensive et la plus concrète, reçoit à des doses presque égales ces deux affluens poétiques, de même qu’elle réunit les trois formes, le récit, le chant et le dialogue.

Je n’ignore pas assurément que le poète dramatique a mission de découvrir et de mettre à nu les sentimens les plus cachés du cœur humain ; nais ce ne sont pas, comme dans les épanchemens lyriques, ses propres émotions que le poète exprime : ce sont les passions de personnages fictifs qu’il tâche de deviner ; c’est de la poésie personnelle, mais au second degré ; ce sont des révélations intimes, mais par substitution. J’accepte donc pour le drame le mot d’Horace : Ut pictura poesis. Ici, en effet, l’imitation domine ; l’homme copie l’homme par tous les moyens qui sont en son pouvoir ; le poète con-