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moindres affaires. Les voyageurs munis de firmans du pacha sont logés, nourris, hébergés par les cheyks-el-beled, qui leur fournissent tout ce qui leur est nécessaire pour continuer leur route : montures, guides et provisions. Cette fonction d’hôteliers publics a pris surtout de l’extension depuis que les Européens voyagent en Égypte ; mais, comme elle est assez dans les mœurs hospitalières des Arabes, ils s’en acquittent toujours avec politesse et dignité.

Outre ces fonctionnaires généraux, il y a encore trois fonctionnaires spéciaux pour le cadastre, les finances et la justice. Le kôli est préposé à l’arpentage des terres ; il fait les grandes opérations de mesurage pour les diverses plantations, il dépend du fisc, qui le salarie ; quand il est employé par les fellahs, il reçoit d’eux une rétribution proportionnée à son travail. Un saraf est aussi placé dans chaque commune ; il est chargé de toute la partie financière ; c’est lui qui règle les comptes des fellahs avec le trésor ; il est lui-même comptable au mamour du département. Enfin, le châhid rend la justice ; c’est à lui que les fellahs soumettent leurs différends, lorsque le cheyk-el-beled n’a pu les concilier ; il les juge suivant le droit naturel et coutumier, sans qu’il soit besoin d’instance ni de plaidoirie ; il remplit aussi, comme autrefois, les fonctions de notaire.

Pour compléter cette esquisse de l’organisation nouvelle, je dois dire qu’il existe un conseil-général qui accompagne partout le pacha. Ce conseil est le centre de toute l’administration : il est composé des intimes de Mohammed-Ali. C’est dans son sein que le pacha choisit ses fonctionnaires politiques et agricoles, ses inspecteurs, les exécuteurs de ses ordres ; car cette réunion a tout à la fois un caractère délibérant et exécutif. Les mamours adressent chaque semaine le journal détaillé de leurs opérations, ainsi que les demandes qu’il ont à faire, à ce conseil, où tout est examiné, discuté, et soumis ensuite à l’approbation du pacha. C’est ainsi que l’unité est établie, et que l’on arrive à des résultats qui étonnent par la promptitude et la grandeur ; car toute cette machine administrative fonctionne comme un seul homme, et la volonté du chef la pénètre et l’anime d’autant plus sûrement, qu’il peut à son gré en modifier et même en briser les différentes pièces. À l’aide de la ligne télégraphique d’Alexandrie au Kaire, et des postes arabes servies par des coureurs qui font deux lieues à l’heure, en se relevant successivement, les ordres parviennent avec la plus grande célérité, et sont exécutés avec non moins d’énergie.

Mohammed-Ali administre l’Égypte en véritable propriétaire ; il connaît l’étendue et la nature de ses terres, les produits qui leur conviennent. Il cherche surtout à faire cultiver les produits riches. Là où il peut avoir des champs de coton et d’indigo, pourquoi se contenterait-il de terres à blé ? Chaque année, il fixe donc dans son conseil le nombre de feddans qu’il destine à la culture du coton, du riz, de l’indigo, de l’opium, ou de tout autre produit. Ces ordres concernant le mode de plantation des terres, sont transmis aux moudirs et aux mamours, qui les font exécuter, de sorte qu’en combinant cette donnée avec la crue du Nil et les autres circonstances atmosphériques, on peut dire à l’avance quel sera le chiffre de la récolte de l’Égypte. Si une semblable