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LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

solation, et qui, dans l’esprit de la législation, avait pour but de rappeler sans cesse l’origine de la propriété. Après l’expiration des quatre-vingt-dix ans, si la terre se trouvait dans le même état qu’au moment de la cession, l’administrateur de l’ouakf la reprenait ; si la terre avait été améliorée, elle demeurait en la possession du cessionnaire, pourvu qu’il continuât de payer le droit annuel.

Chaque ouakf avait un nazir chargé de l’administrer, de recouvrer et de répartir le revenu, conformément aux volontés du fondateur Ce nazir était ordinairement un des descendans de celui qui avait constitué l’ouakf. Comme les terres d’oussyeh, les terres d’ouakf étaient exploitées par le moyen de la corvée ou du salaire, et quelquefois données à ferme, sous la direction d’un oukil ou procureur gérant.

Les terres des villages étaient divisées en vingt-quatre quirats[1] : ces vingt-quatre parties appartenaient à un ou plusieurs moultézims. On comptait quelquefois jusqu’à vingt moultézims pour un seul village ; souvent aussi un seul moultézim avait la propriété de trois ou quatre villages. Mais le moultézim devait toujours être propriétaire d’une quantité de terres de fellah proportionnée à la quantité de terres d’oussyeh qu’il possédait. Cet usage était tellement établi, que le moultézim ne vendait jamais une portion de sa terre de fellah sans vendre également une quantité proportionnelle en quirats de ses terres d’oussyeh. Chaque moultézim choisissait parmi les fellahs qui possédaient ses terres, un principal cultivateur, qui devenait le chef des autres et portait le nom de cheyk-el-beled. Plusieurs villages avaient quelquefois un seul cheyk, d’autres en avaient sept à huit, quelques-uns en comptaient plus de vingt. Le cheyk-el-beled dirigeait les fellahs qui cultivaient la portion de terre confiée à son commandement : c’était à lui que le moubâchir ou intendant du moultézim demandait la redevance. Il y avait aussi dans chaque village un premier cheyk-el-beled, nommé par le plus riche des moultézims, et quelquefois même par les beys ; c’était ce fonctionnaire qui formait la transition entre le pouvoir politique et la constitution agricole. Son autorité s’étendait non seulement sur les fellahs cultivateurs, mais encore sur tous les habitans du village ; c’était le syndic des laboureurs, et en quelque sorte le maire du pays ; il remplissait aussi les fonctions de juge-de-paix. Cette place n’était pas purement honorifique ; le cheyk-el-beled échappait aux contributions levées par les Mamelouks, et se faisait même quelquefois sa part sur celles dont il était le collecteur. Les fonctions de cheyk-el-beled se transmettaient ordinairement de père en fils. À défaut de descendant direct, elles passaient à un autre membre de la famille.

Dans chaque village, il y avait un saraf, dépositaire des registres du miri ; les sarafs s’entendaient avec les moubâchirs pour le partage de la redevance ; le moubâchir nommait le saraf, et était responsable de la gestion de celui-ci envers le moultézim. Le châhid était une sorte de notaire ; on choisissait, pour

  1. Les Arabes conservent encore ce mode de propriété. Ainsi, ils divisent en douze ou vingt-quatre quirats un cheval, une maison, un chameau, une barque. Ils s’entendent très bien sur la possession et la jouissance de la chose commune.