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LES CÉSARS.

autour d’eux, qui demandèrent : Où est Britannicus ? mais, faute d’entendre parler de lui, ils firent comme les autres. Néron, porté au camp, harangue, promet des largesses, se fait saluer empereur. Après la décision des soldats vint un décret du sénat, et les provinces n’hésitèrent même pas. Il ne s’agissait que d’arriver le premier.

Cet avènement fut populaire. On fit bien mourir un Silanus, famille malheureuse alliée de trop près aux Césars, dont il périssait un membre au début de chaque règne. Narcisse, également poursuivi par l’ordre d’Agrippine et à l’insu de Néron, fut poussé à se tuer. Cela n’empêcha pas le peuple d’aimer Néron, ni Néron de se montrer doux et respectueux envers le peuple, de parler de sa vénération pour Auguste, comme tout empereur débutant devait le faire. Aux yeux des masses, l’homicide était un droit du pouvoir ; il fallait n’en user que modérément, ne pas le rendre menaçant pour tous, et le peuple était ravi.

Ceci se passait pendant qu’on pleurait Claude ; Agrippine et Néron lui devaient bien leurs larmes. Néron, en cette occurrence, se fit faire deux discours. Le premier était l’oraison funèbre de Claude qu’il débita en grande pompe du haut des rostres à tous les badauds romains ; le discours était de Sénèque, élégant et soigné, écrit dans le style à la mode. Tant que Néron, au lieu de parler de Claude, parla de ses ancêtres et de leur gloire, on l’écouta en grand recueillement ; quand il vint à louer la science de Claude et le bonheur de la république, qui sous son règne n’avait eu au dehors que des triomphes, les badauds prirent grand plaisir à l’entendre ; mais quand il vint à vanter la raison et la prévoyance de Claude, tout le monde se prit à rire. Dans une autre harangue adressée au sénat, pleine d’onction, de modestie et de belles promesses, il s’engageait à ne pas être jugeur acharné comme Claude, à ne pas entendre, comme lui, accusateurs et accusés dans son palais, à ne pas livrer toute la puissance à quelques affranchis, à séparer la conduite de sa maison de celle de la république, à ne donner les charges ni aux intrigans ni aux enchérisseurs, comme Claude l’avait fait ; en un mot, à se conduire tout autrement que le prince dont il venait de faire un si bel éloge. Le sénat, cependant, enterrait Claude, lui votait de pompeuses obsèques, des pontifes, et l’apothéose. Comme tous ses prédécesseurs, Claude fut dieu, emploi dont il fut plus tard destitué par Néron, et que Vespasien eut la bonté de lui rendre. Les empereurs morts étaient loin d’être dieux une fois pour toutes, et leur divinité eut souvent bien des revers de fortune à subir ; celle de Claude fit beaucoup rire dans Rome ;