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LES CÉSARS.

d’elle, séparée de sa fille lorsque celle-ci était puissante, dans ce triste et dernier moment ramenée à elle par la pitié. Elle lui conseillait maternellement de ne pas attendre le meurtrier. « Sa vie était finie, lui disait-elle ; elle ne pouvait plus espérer qu’une chose, l’honneur dans la mort. » Mais cette ame corrompue par le désordre n’avait pas même un tel sentiment d’honneur ; elle pleurait, se plaignait, lorsque les portes sont poussées avec fracas : le tribun est là silencieux devant elle ; l’affranchi lui jette des injures de valet. Alors seulement elle comprit son sort, prit une épée et voulut en vain, toute tremblante, s’en percer la gorge et la poitrine. Le tribun la tua ; on laissa son corps à sa mère.

« Claude était encore à table lorsqu’on lui annonça que Messaline était morte ; de sa main ou de la main d’autrui ? il ne le demanda pas, se fit remplir un verre et continua à festoyer. Les jours suivans il vit le triomphe des accusateurs, le deuil de ses fils, sans donner signe ni de haine, ni de joie, ni de colère, ni de tristesse, ni enfin d’aucune affection humaine. Peu de jours après, se mettant à table : — Pourquoi l’impératrice ne vient-elle pas ? — dit-il. Le sénat, en faisant effacer partout l’image et le nom de Messaline, l’aida à oublier tout. Narcisse reçut les insignes de la questure, faible ornement du triomphe que son orgueil remportait sur Claude et sur Pallas. — Juste et légitime vengeance, dit Tacite en terminant son récit, mais féconde en malheurs, et qui ne servit qu’à nous faire changer de misère ! »

De deux fiancées et de trois femmes que Claude avait eues jusque-là, la mort lui avait ôté une de ses fiancées ; il avait renvoyé l’autre pour plaire à Auguste, sa première femme pour je ne sais quelle faute, la seconde pour des turpitudes pareilles à celles de Messaline. « Le mariage me réussit trop mal, disait-il aux prétoriens, je jure de vivre sans femme ; si je manque à mon serment, tuez-moi. » Mais, malheureux en mariage, il ne pouvait se passer du mariage ; il lui fallait une femme, comme à tels laquais qui ont vieilli au service il faut un maître : cette ame insatiable d’assujettissement ne pouvait vivre sans la domination intime, continuelle, domestique d’une femme ; la domination même de ses affranchis ne lui suffisait pas.

Ceux-ci, nous venons de le dire, étaient divisés. La lutte était donc entre eux à qui marierait le prince.

Parmi tant de beautés qui briguèrent son choix,
Qui de ses affranchis mendièrent les voix,


Caliste, Narcisse et Pallas en patronisaient chacun une. Narcisse