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invités manquent encore. « Où sont-ils ? dit Claude, allez réveiller ces paresseux ; » il oublie qu’il les a fait tuer le matin.

Une autre fois peut-être je pourrai vous conter les magnificences du repas, les délices de la cuisine romaine ; mais, pour cette fois, ce serait trop long-temps vous retenir sur le compte de ce pauvre hère de Claude. Laissons le voile sur les mystères du festin ; passons aux tristes heures qui vont le suivre.

Claude se lève de table ; il n’en peut plus ; le goût de la bonne chère et du vin est une passion impériale, le farouche Tibère n’y a pas été plus insensible que le magnifique Caligula. Mais chez Claude c’est une ignoble passion, un brutal amour. Il est épuisé ; il tombe à la renverse, bouche béante ; il faut qu’on vienne le secourir à la romaine, et (pardonnez cet ignoble détail de la vie antique) qu’une plume mise dans sa bouche soulage l’estomac impérial. Je ne saurais vous dire, en vérité, jusqu’où il prétendait pousser la liberté des repas[1].

Passons à des faits plus graves.

À travers tout cela, sous Claude comme sous tous les empereurs, il y eut quelque chose de grand. Si détestables et si ridicules qu’ils soient, les Césars, travaillant la pierre, ont tous laissé quelques nobles traces de leur passage. Aussi bien des monumens ne sont-ils guère un signe de civilisation ; les plus gigantesques datent des siècles qui ont eu beaucoup de captifs et d’esclaves. Les beaux et vrais monumens ne sont pas les pyramides de Chéops ou le Colosse de Néron ; c’est le temple hébreu ou la cathédrale chrétienne, ceux qui sont bâtis, non par le pouvoir, mais par la foi.

Tibère seul, chagrin et avare, laissa peu de monumens. César, Auguste, Néron, changèrent la face de Rome ; Caligula même, malgré sa folie, fit des ouvrages grands et utiles : c’était pour eux un moyen de pouvoir.

Sous Claude, il y eut de beaux travaux ; ses affranchis y mettaient une certaine vanité. Depuis que l’Italie, qui autrefois exportait du blé, ne suffisait plus à sa propre nourriture, et que, comme dit Tacite, la vie du peuple romain était confiée à la merci des vents et au risque des navires, César avait pensé à faire un port à l’embouchure du Tibre, plus sûr que n’était celui d’Ostie. Claude reprit cette

  1. Meditatus est edictum, quo veniam daret flatum crepitumque ventris in caenâ emittendi, cûm periclitatum quemdam præ pudore ex continentia reperisset. (Suétone.)