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LES CÉSARS.

C’est fini. — Claude n’écoute plus rien ; sa pensée est ailleurs, s’il est croyable qu’il pense. Faites attention : sentez-vous cette douce et alléchante odeur qui arrive jusqu’à vos narines ? L’empereur la respire, la savoure, oublie tout le reste. On prépare dans le temple de Mars le dîner des prêtres saliens. Il n’y a plus d’empereur, plus de juge, plus d’avocats, plus de procès. Perrin Dandin est devenu Apicius. Claude se jette hors du tribunal ; il va chercher le dîner des pontifes.

« Non ! pas encore ! » s’écrient vingt avocats. Ils le retiennent par le bout de sa toge ; ils le saisissent par les pieds : le maître du monde n’est pas maître d’aller dîner. Puis viennent les injures : « Tu n’es qu’un vieux fou ! » lui dit un Grec dans sa langue. Ces gens-là sont prêts à l’assommer pour qu’il les juge.

Claude n’échappe à cette tempête que pour en subir une autre. C’est le peuple qui a faim : les greniers ne sont pas remplis pour quinze jours, les vaisseaux d’Égypte n’arrivent pas à Ostie, et le peuple connaît fort bien ce premier principe de la monarchie d’Auguste, que l’empereur doit nourrir Rome. Le peuple l’arrête au milieu de la place, le couvre d’injures, de croûtes de pain ; jamais tant de pain ne fut gaspillé qu’aux jours d’émeute pour cause de disette. Claude s’échappe à grand’peine, pénètre au palais par une porte de derrière, et là l’excellent homme ne songe plus qu’aux moyens de nourrir son peuple, presse les arrivages, récompense la marine.

Quand se reposera-t-il donc, cet infatigable empereur ? Quand pourra-t-il, avec quelque histrion de ses amis ou quelque affranchi de sa cour, remuer le cornet et les dés ? Claude est grand joueur ; en voyage, dans sa voiture, il a une table de trictrac (alveum) combinée de manière à n’être pas dérangée par le mouvement ; il a écrit un livre sur le jeu de dés ; sur quoi n’a-t-il pas écrit, le savant homme !

Mais le vrai délassement, le vrai triomphe de César, c’est l’heure du souper. Il aime les gigantesques repas, les salles à manger immenses, les plats cyclopéens que plusieurs hommes ont peine à porter ; en ceci il est grandiose. Avec quel abandon et quelle onction savoureuse, au sénat, un jour qu’il était question des marchands de vin et des bouchers, s’est-il écrié : « Eh ! qui peut vivre sans sa livre de viande ! » Et ensuite, entraîné par un délicieux souvenir, avec quelle abondance de cœur il a rappelé les cabarets d’autrefois, les trésors qu’ils offraient aux gourmands, le Falerne et le Massique qu’il allait y boire !

Voici l’heure : six cents convives attendent, pourtant quelques