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LES CÉSARS.

La puissance des songes était grande ; deux chevaliers furent tués parce que leurs rêves avaient été de mauvais augure pour l’empereur. Un jour, parmi la foule qui le saluait dans son palais, un homme le tire à part : — J’ai vu en songe, lui dit-il, un assassin qui te frappait. — L’instant d’après, Claude va au Forum juger les affaires. Un plaideur lui remet un placet ; le rêveur était là. « Bon Dieu, César, c’est l’assassin de cette nuit ! » Il n’en fallut pas davantage ; on mena l’homme au supplice, c’était contre le rêveur qu’il plaidait.

Les motifs politiques ne manquaient pas pour augmenter le nombre des supplices. L’empire semblait d’une facile conquête. Un Asinius Gallus voulut se faire empereur. Il avait avec lui beaucoup d’esclaves et d’affranchis de César ; ces gens si bien placés sous les empereurs n’en étaient pas moins les premiers à conspirer. Une révolte plus sérieuse eut lieu en Dalmatie ; les légions commençaient à comprendre qu’elles pouvaient bien, comme les prétoriens, faire des Césars ; deux hommes qui avaient manqué de l’être à la mort de Caligula, lorsque le sénat eut une fantaisie de république, Minutianus et Camillus, des chevaliers, des sénateurs conduisaient ce mouvement. Camillus, général de l’armée, se fit prêter serment par elle, annonça le rétablissement de la liberté, le gouvernement du peuple, écrivit à Claude une lettre injurieuse et menaçante, le sommant d’abdiquer. Pour la seconde fois, Claude risquait d’avoir à se battre pour l’empire ; aussi fit-il venir les principaux du sénat pour savoir s’il ne devait pas se soumettre. Mais la superstition des soldats le tira de peine. Lorsque Camillus voulut les faire marcher, il fallut enlever les enseignes qui étaient plantées en terre ; on ne put les arracher ; les dieux ne voulaient pas que l’armée marchât. Les soldats s’arrêtèrent, tuèrent leurs officiers et laissèrent tuer Camillus. Mille cruautés vinrent ensuite : la femme de Camillus dénonçait les complices de son mari ; bien des conjurés se tuèrent ; d’autres, conjurés ou non, furent condamnés, d’autres achetèrent leur grace des affranchis ou de Messaline. Un affranchi de Camillus, amené devant le sénat, y parlait avec liberté. « Qu’aurais-tu donc fait, lui dit Narcisse, s’avançant de derrière le siège de César, si ton maître était devenu empereur ? — Je me serais tenu derrière lui et j’aurais gardé le silence. » — Vous savez l’histoire de Petus et d’Aria, cette femme d’un atroce courage, héroïne de suicide, qui, au milieu de sa famille par qui elle est gardée, s’élance de sa chaise et va se rompre la tête contre un mur, qui se frappe la première pour convier son mari aux douceurs du coup de poignard ! Quand on a saisi son mari, qu’on l’embarque sur un vaisseau, qu’elle se jette aux pieds