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LES CÉSARS.

modernes par les charges, par l’intrigue, par l’importance. Utiles instrumens sous Tibère, puissans personnages sous Caligula, mais toujours menacés par le caprice de ce fou qui ne se gouvernait pas et n’était gouverné par personne, ces hommes furent tout puissans sous Claude. Claude se plaignait un jour de l’exiguïté de son trésor. Que n’êtes-vous, lui dit-on, associé à vos deux affranchis, Narcisse et Pallas ! Eux et Caliste étaient chacun plus riche que ne l’avait été Crassus. Caliste, affranchi et secrétaire de Caius, avait conspiré avec plusieurs de ses camarades contre ce dangereux patron. Aujourd’hui un homme, qui avait été son maître et l’avait vendu en place publique, venait (comme les solliciteurs de ce temps qui attendaient dans la rue, tandis que souvent le patron s’échappait par une porte de jardin[1]) le solliciter au seuil de sa maison, où le portier ne le laissait pas entrer. Pallas était plus puissant encore : son frère Félix, mari de trois reines, gouvernait la Judée ; lui, moins ambitieux, trésorier de César, vivant simplement avec 300 millions de sesterces, amusait ses loisirs à dicter des décrets au sénat, à réprimer, ci-devant esclave qu’il était, le libertinage, si commun alors, des femmes avec les esclaves. Le sénat ne sut assez le remercier d’avoir inspiré un si beau décret ; trop heureux d’avoir à qui faire sa cour, il lui vota louanges, honneurs, 15 millions de sesterces de récompense (2,906,250 fr.), une généalogie même, et, sur la proposition d’un Scipion, rendit grace à ce laquais, qui, « né des rois d’Arcadie, voulait bien sacrifier sa noblesse au bien public et n’être qu’un des serviteurs de César ! » Mais Pallas ne rendit pas au sénat sa politesse, et fit dire par Claude qu’il n’acceptait que les honneurs « et restait content de sa pauvreté première. » Cette pauvreté était de 58,125,000 fr. Pline, qui avait vu au Forum, entre les lois et les traités, le décret du sénat qui, insolemment remercié par ce valet, le remerciait de son insolence ; Pline, qui avait lu l’épitaphe où Pallas se vantait de tous les honneurs qu’il avait refusés, Pline se fâche tout de bon. Mais pourquoi Pallas n’eût-il pas bafoué le sénat qui honorait ainsi Pallas ?

Voilà les gens qu’il fallait à Claude. Accoutumé à toujours chercher quelqu’un qui voulût pour lui, la débilité profonde de son caractère lui valut un cortége de valets-maîtres, fous, affranchis, femmes, et parmi ces femmes Messaline ; monde intrigant, insolent, passionné, qui tourbillonnait autour de ce malheureux empereur, qui dominait cette ame peureuse, l’étourdissait de vaines alarmes, et, selon l’expres-

  1. Atria servantem portico falle clientem.(Horace.)