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LES CÉSARS.

ment la principauté, et de la simplicité d’Auguste passassent à la divinité de Caligula, d’empereurs citoyens devinssent et se fissent proclamer plus que des rois.

Claude, comme tous les autres, fut d’une modestie enchanteresse, reconnaissant la supériorité du sénat, s’inclinant devant les consuls, se levant au cirque devant les magistrats, les saluant de la voix et de la main, siégeant aux tribunaux comme un simple juge, ne faisant pas de ses fêtes de famille des fêtes publiques. Cela ravissait les Romains, qui aimaient peu la liberté, mais beaucoup certaines apparences de liberté. D’ailleurs après Caligula il était peu difficile de se rendre populaire ; ne pas vouloir qu’on l’adorât, abolir la poursuite de lèse-majesté, supprimer des impôts, jurer de ne jamais mettre un homme libre à la torture (on ne s’inquiétait pas des autres), furent jugés des actions sublimes. Claude de plus ne jurait que par Auguste, tant la mémoire d’Auguste était restée populaire. Aussi, quand un jour, pendant un de ses voyages, on annonça à Rome qu’il avait été assassiné, le peuple devint furieux, accusa le sénat, accusa l’armée, voua tout aux dieux infernaux ; il fallut deux ou trois magistrats à la suite les uns des autres, pour lui persuader qu’il n’en était rien, que César était vivant, que César allait venir.

C’était son début. Mais au reste il garda toujours quelque chose de cette sagesse et de cette bonté première : il eut le mérite de venir le premier au secours des esclaves. Il y avait sur le Tibre une île d’Esculape où l’on abandonnait les esclaves, lorsqu’ils étaient infirmes, malades, et qu’on ne voulait pas prendre la peine de les soigner ; on laissait à Esculape le soin de les guérir. Claude déclara libres les esclaves ainsi abandonnés. Des maîtres alors prirent le parti de les tuer ; Claude déclara les maîtres homicides ; c’était hardi.

On le vit, dans un incendie, établi dans un bureau de péage, demeurer là deux nuits, une corbeille pleine d’argent à sa droite, une autre à sa gauche, appelant sa maison, son peuple, ses soldats, encourageant, payant, excitant le zèle. Le pauvre homme était dévoué et ne laissait pas que de bien s’appliquer à la chose publique, quand on lui permettait de le faire. Mais, dans le fait, ce ne fut pas lui qui régna ; ce furent ses affranchis. Avant d’aller plus loin, disons un peu ce qu’étaient les affranchis.

Les Romains vivaient sans intimité. Les amis se voyaient en plein Forum, entre deux harangues. Les femmes restaient à la maison, traitées avec un respect grave, estimées comme matrones plutôt qu’aimées comme épouses, filant de la laine, ne venant pas à table. Un esclave