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EXPÉDITION DE CONSTANTINE.

font mouvoir une vingtaine de moulins arabes ; ces fabriques sombres et humides, bâties parmi des pierres toutes verdies de mousse, sur un sol qui suinte et au milieu de plantes qui pleurent, complète le caractère de ce paysage aquatique.

Aussitôt après la prise de possession de Constantine, et dès qu’on eut satisfait aux premières exigences de l’occupation, l’on dut songer à poser les pierres d’attente de l’établissement que l’armée, en se retirant, laisserait derrière elle. Il fallait trouver des points d’appui dans le pays et parmi l’élite de la population ; mais on n’avait plus sous la main qu’un petit nombre d’habitans notables. Ben-Aïssa avait quitté la ville le matin même de l’assaut, et d’ailleurs c’était un des plus ardens ennemis du nom français. Le kaïd du palais, blessé mortellement dans une des attaques dirigées contre Kodiat-Aty, avait succombé presque dans un accès de rage, en apprenant que nos troupes envahissaient la ville. Un des cadis avait, dès l’origine, suivi le bey ; l’autre, blessé, s’était enfui secrètement de la place, dès qu’il avait été en état de supporter le mouvement et la fatigue. Une seule des autorités restait ; c’était le scheik de la ville, vieillard d’une majesté homérique, que ses cheveux blancs et la considération attachée à sa race avaient garanti contre le mauvais vouloir du bey. Ce personnage pouvait donc être moins mal disposé qu’aucun autre à l’égard des Français ; mais si ses quatre-vingts années pouvaient jeter sur notre cause, en supposant qu’il consentît à l’embrasser, un certain reflet de solennité, elles ne pouvaient lui prêter ni solidité ni vigueur. Alors le fils de ce scheik se présenta et offrit son concours. C’était un beau jeune homme, plein d’une dignité douce, et qui cachait, sous les apparences d’un calme presque ascétique et d’habitudes purement méditatives, une ambition forte et agissante, mais silencieuse et réfléchie. La justesse et la gravité de ses reparties, l’esprit de prévoyance et de sagacité qui distinguait ses paroles, peut-être enfin le caractère imposant et comme royal qui brillait dans toute sa personne, firent agréer ses propositions. On le chargea d’organiser une municipalité et toute une hiérarchie de fonctionnaires indigènes, en sorte qu’il y eût toute une sphère de pouvoirs musulmans qui se mût au dedans de la sphère des pouvoirs français, par suite d’une harmonie comme préétablie entre elles, et non par l’action incessante et par le frottement immédiat de celle-ci sur la première. Ce fut avec l’aide de ce nouveau dignitaire et des hommes qu’il s’était associés qu’on parvint à connaître et à classer les ressources que la ville renfermait, ainsi qu’à faire rentrer au trésor une contribution que l’on jugea nécessaire pour subvenir, sans envois d’argent français, aux besoins de la caisse de l’armée.

Cependant les germes de maladie que les soldats avaient puisés dans l’atmosphère malsaine de Bone et des camps, ou dans les boues, dans les fatigues et dans les souffrances du bivouac, se développaient. Le 12e de ligne qu’on avait laissé à Bone, au moment du départ pour l’expédition, comme atteint du choléra, arriva à Constantine plusieurs jours après la prise de la