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EXPÉDITION DE CONSTANTINE.

prochèrent et hachèrent à coups de yatagan tout ce qui respirait encore, et jusqu’aux cadavres.

Cependant, une fois le premier instant d’étonnement passé, et dès que le voile épais de fumée et de poussière qui dérobait le jour se fut un peu abaissé, ceux qui étaient en état de se soutenir et de se servir de leurs armes, quoique bien peu d’entre eux fussent intacts, se portèrent d’eux-mêmes aux postes qu’il était le plus important d’occuper. La seconde colonne d’assaut fut envoyée pour appuyer la première, dès que celle-ci, s’étant creusé un sillon dans la ville, se fut écoulée, laissant la brèche libre et dégagée. Le colonel Combes arrivait avec les compagnies du 47e et de la légion étrangère, presque au moment où ce sinistre venait d’avoir lieu ; il prit le commandement que le colonel Lamoricière, blessé et privé de la vue dans l’explosion, avait, depuis quelques instans, cessé d’exercer ; et, après avoir reconnu l’état des choses et disposé une partie de ses hommes de manière à assurer la conservation de ce qui était acquis, il songea à agrandir le rayon d’occupation. Les ennemis, revenus de leur premier élan d’audace à mesure que nous avions secoué la poussière des décombres, s’étaient retirés un peu en arrière, mais sans sortir de la rue par laquelle nous voulions nous ouvrir un passage. Ils s’étaient embusqués presque en face de la porte, derrière un amas de débris et de cadavres qui formaient une espèce de barricade ; de là ils faisaient un feu meurtrier, et il devenait nécessaire de les expulser au plus tôt de cette position par un coup de vigueur. Le colonel Combes ordonne à une compagnie de son régiment d’enlever cette barrière, en promettant la croix au premier qui la franchira. La compagnie se précipite contre le retranchement, et déjà le lieutenant s’élançait par-dessus, lorsqu’il tombe sous une décharge générale des ennemis. Cependant cet officier n’était pas atteint ; ayant trébuché contre un obstacle, il avait plongé au-dessous de la direction des balles, et ceux qui étaient un peu en arrière et debout essuyèrent le feu. Le capitaine fut frappé mortellement, et plusieurs soldats furent tués ou blessés. Ce fut à peu près en ce moment que le colonel Combes, qui veillait sur l’opération, fut atteint coup sur coup de deux balles, dont l’une avait frappé en plein dans la poitrine. Après s’être assuré de la réussite complète du mouvement qu’il avait ordonné, il se retira lentement du champ de bataille, et seul, calme et froid, il regagna la batterie de brèche, rendit compte au général en chef de la situation des affaires dans la ville, et ajouta quelques simples paroles, indiquant qu’il se sentait blessé mortellement. À le voir si ferme dans sa démarche, si naturel dans son attitude et ses paroles, on n’aurait jamais supposé que ce fût là un homme quittant un lieu de carnage pour aller mourir. Il y avait dans cette scène quelque chose de la gravité, de la fierté sereine, de la beauté austère des trépas antiques, moins la solennité théâtrale.

À mesure que de la batterie de brèche on observait que la colonne des troupes déjà entrées dans la ville diminuait de longueur et disparaissait des lieux qui étaient en vue, on envoyait des troupes nouvelles, par fractions peu considérables, afin qu’elles pussent remplir les vides qui se formaient