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EXPÉDITION DE CONSTANTINE.

en même temps le terme du succès, on entre dans une atmosphère d’attractions et de répulsions, de désirs et d’inquiétudes, d’attente et d’impatience, dans laquelle le sang bouillonne et la vie se précipite, où les facultés se tendent et se doublent, et où l’action et les instans arrivent à un incroyable degré de densité. Avant deux heures du matin, la batterie était achevée et prête à recevoir les pièces retirées de la batterie en arrière où elles furent remplacées, avant le jour, par un nouvel armement. Entre l’ancienne batterie de brèche et la nouvelle, le terrain offrait un plan uniformément incliné, dont toutes les parties sont en vue de la place, et s’éclairaient, cette nuit-là, du reflet heureusement incertain qu’envoyait la lune à travers les nuages. Lorsque la première pièce mise en mouvement eut parcouru la moitié de la distance qu’elle avait à franchir pour arriver à sa destination, l’ennemi comprit le sens du mouvement qui s’opérait. Jusque-là tout, dans la place, avait été calme, silence et obscurité ; tout à coup il y eut explosion de lumière, de bruit, d’activité, et comme un réveil instantané et violent. Toute la perspective fuyante des murailles, aussi loin que la vue pouvait s’étendre, se dessina par des lignes de feu, et la fusillade forma un bruit continu, quoique brisé et inégal. Il semblait que toute la population fût au rempart, que chaque pierre du couronnement eût son créneau, et que chaque créneau lançât constamment un éclair ; en même temps quelques hommes se montrèrent sur la gauche de la batterie. Les Zouaves les attendirent, silencieux et immobiles ; mais cette tentative de sortie avorta. Cependant il avait été impossible, à travers le premier jet de cette verve de défense, de continuer le transport des pièces ; mais peu à peu l’activité des assiégés se lassa, le feu se ralentit, et tout ce grand tumulte s’apaisa. Alors les voyages de l’artillerie reprirent leur cours, toujours périlleux et troublé par les balles de la place, quoique mené à fin sans pertes ni accidens. Au jour, l’armement de la nouvelle batterie était complet ; mais on n’avait pu pourvoir à son approvisionnement. Entre le dépôt de tranchée où étaient les munitions et le point le plus rapproché du chemin creux qui débouchait à la nouvelle batterie, il y avait un espace de trois cents mètres que les assiégés pouvaient, à leur gré, couvrir de leurs feux. C’est à travers ce terrain, continuellement écorché par les balles, qu’il fallut porter les charges des pièces. Deux cents hommes d’infanterie accomplirent intrépidement cette tâche.

La journée du 12 commença sous les plus heureux auspices. La matinée était pure et belle ; la brèche était entamée ; la batterie qui devait la compléter était prête, et l’image de l’assaut, naguère éloignée et enveloppée de brouillards, se montrait alors toute rapprochée, toute radieuse, et faisait bondir les cœurs. Il était environ huit heures ; un groupe, composé du gouverneur-général, du prince et de leurs états-majors, arrivant du Mansoura, se dessina sur les plus hautes collines de Kodiat-Aty, et avança rapidement vers l’ancienne batterie de brèche. Il était à hauteur d’une espèce de place d’armes circulaire en pierres sèches, construite en arrière de cette batterie, et il s’arrêtait, lorsqu’un coup de canon partit de la place. Le gouverneur-général