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EXPÉDITION DE CONSTANTINE.

le moindre souffle pouvait faire pencher du mauvais côté. Si le temps, pendant la journée du 9, était resté tel qu’il avait été les jours précédens, le 10, peut-être, il aurait fallu commencer la retraite, et rentrer dans ce sillon d’angoisses et de misères que les troupes françaises, en 1836, avaient creusé de Constantine jusqu’à Bone. On dit même que, dans le conseil des généraux, la nécessité du départ pour le 10 ou le 11 avait été reconnue, dans le cas où les circonstances du temps et des localités ne permettraient pas l’établissement immédiat de la batterie de brèche. Heureusement que le tissu serré de nuages qui enveloppait le ciel, se déchirant comme par l’effet des explosions de tant de bouches à feu, laissa poindre d’assez fréquentes éclaircies. Le terrain s’affermit un peu ; les hommes secouèrent en partie l’eau dont ils étaient alourdis, et l’on entrevit la chance de pouvoir exécuter un travail auquel était attaché le salut de l’armée. Cependant, en-deçà de cette barrière infranchissable, que le temps pouvait d’un instant à l’autre élever au-devant de nos pas, restaient encore de bien rudes obstacles. Jusque-là les circonstances avaient interdit l’action, et alors elles ne la permettaient qu’à la condition d’un résultat à heure fixe. Il fallait que les pièces fussent arrivées le 10 au matin à portée de leur position, quoiqu’il eût été impossible jusqu’alors de leur préparer les voies. Ce n’était pas au courage patient et laborieux de modifier et dompter le terrain, c’était à la volonté énergique de s’en emparer violemment ; c’était au coup d’œil et à l’instinct militaires de juger le possible, et à l’audace réfléchie de tenter résolument même l’improbable. On n’avait pas le temps de créer, et l’on ne pouvait que forcer les dispositions actuelles des localités à nous servir. Sur la rive gauche du Rummel existe un ancien chemin battu et en partie pavé qui conduit à une des portes de Constantine. On dut songer à en profiter, quoiqu’il fût en grande partie sous le feu de la place ; mais il offrait une rampe par trop raide et d’un sol assez résistant, au milieu de pentes difficiles et d’une terre molle et grasse. Sur la rive droite, il fallait amener, par une ligne directe, jusqu’au bord de la rivière, les pièces de 24 et de 16 destinées à la batterie de brèche, et qui avaient momentanément été employées à armer la batterie provisoire, à l’extrême gauche de la crête du Mansoura ; car il n’était pas possible, dans les conditions données de temps et de terrain, de traîner ces lourdes masses à travers les plateaux fangeux du Mansoura et de Sidi-Marbrouk jusqu’aux passages que nous avions affectés jusque-là. On choisit un chemin qui, de la gauche du Mansoura, descend, par des plans fortement inclinés, jusqu’au Rummel, sur lequel il débouche à cinq ou six cents mètres des remparts de la ville. Les rampes de ce chemin, d’une terre mouvante et comme friable, étaient déchirées, dans le sens des pentes, par les nombreuses rigoles que s’y creusaient les eaux des pluies, et, en outre, rompues transversalement par une foule de ravins perpendiculaires Telle était la voie qui fut jugée la meilleure ; et certes, l’officier qui, chargé de la reconnaître, déclara qu’elle était praticable à l’artillerie, dut frémir de la responsabilité qu’il assumait sur lui. Mais dans