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REVUE. — CHRONIQUE.

l’Union des élémens nouveaux qui pourraient en déranger l’équilibre. C’est pourquoi sans doute, après avoir efficacement aidé le Texas à conquérir son indépendance, les Américains du bord ne l’ont pas admis dans l’Union, et le laissent se constituer auprès d’eux en république faible et misérable. Ils pourraient, il est vrai, suivre la même tactique à l’égard du Canada, l’aider indirectement à s’affranchir de la domination anglaise, puis reconnaître son indépendance, et y régner, par leur protectorat, jusqu’à ce que les circonstances permissent la réunion. Mais on se demande s’ils auraient un assez grand intérêt à la seule émancipation du Canada, pour favoriser les insurgés au risque de s’attirer sur les bras la formidable puissance de l’Angleterre, et d’exposer à une nouvelle crise commerciale un pays encore tout ému de celle qui a signalé l’année dernière.

Les États-Unis nous paraissent donc avoir, en ce moment, le même besoin du statu quo que la vieille Europe, pour d’autres raisons, mais pour des raisons aussi graves. C’est ce qui nous fait comprendre leur attitude dans l’affaire du Canada, bien qu’elle ne soit certainement pas d’accord avec les principes généraux de leur politique, ni avec la théorie de leurs intérêts. Si d’ailleurs le gouvernement des États-Unis prévoit, comme tout l’indique, une collision prochaine avec le Mexique ; c’est un motif de plus pour qu’il observe, du côté du nord, une neutralité complète et sérieuse. Cependant nous ne regardons pas l’insurrection canadienne comme terminée, malgré les succès de sir John Colborn dans la province inférieure, et l’énergie, quelquefois téméraire, déployée par les Anglais. Le cabinet de Saint-James affecte de ne pas douter du succès, et déclare que le Canada ne lui arrachera aucune concession par la force, certain d’obtenir du parlement toutes les ressources nécessaires, en hommes et en argent, pour sauver l’honneur national, engagé dans cette question. C’est fort bien, et au chiffre des majorités qui le soutiennent dans les deux chambres, on peut juger qu’il ne se fait pas d’illusions sur les sentimens du pays. Mais les hommes d’état qui composent le ministère anglais ont trop de sens pour croire que le Canada puisse longtemps encore appartenir à l’Angleterre. Ils reconnaissent que ce n’est pas dans la nature des choses, et que toutes les colonies dont le fond de la population sera une race européenne, doivent finir par ne plus relever d’un gouvernement placé à deux mille lieues de distance par-delà les mers. Ils entrevoient donc une séparation, et ils citent déjà l’exemple des États-Unis, pour montrer que cette séparation ne porterait point de préjudice aux relations commerciales, et par suite à la prospérité de la métropole. Voilà ce que lord Melbourne a laissé entendre dans une des dernières séances de la chambre des pairs ; et quelques jours avant, lord Aberdeen, ancien secrétaire d’état des colonies, ministre des affaires étrangères dans le cabinet présidé par le duc de Wellington, avait tenu le même langage. Mais ce que veut lord Melbourne, c’est que la séparation se fasse un jour à l’amiable, comme un divorce par consentement mutuel, après que les deux parties auront fait