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qu’il garde en réserve et qu’il élabore depuis deux ans, pendant lesquels il ne lui est venu à l’esprit qu’un seul moyen d’exécution : le remboursement par séries tirées au sort ; moyen que n’aurait pas le droit de prendre un gouvernement qui a supprimé et qui punit avec tant de rigueur les loteries et les jeux de hasard.

Il est hors de doute que M. Gouin proposera quelque autre mode d’exécution, lorsqu’il aura à développer sa proposition devant la chambre ; car, outre que celui-ci serait doublement immoral, fondé qu’il serait sur un jeu de hasard prohibé par une loi, et mis à exécution par le pouvoir qui a sanctionné cette loi, une objection déjà faite, il y a dix ans, par M. Laffitte, suffirait pour le combattre. De quel droit, pourrait-on demander, divisez-vous les rentiers en plusieurs classes, et dites-vous aux uns : « Vous perdrez un cinquième ou un sixième de vos revenus ; » aux autres : « Vous garderez votre revenu intact pendant plusieurs années encore » Et supposez que des circonstances imprévues, mais possibles, survinssent pendant le remboursement, et qu’il fallût le suspendre indéfiniment, pour ne pas priver le trésor des ressources à l’aide desquelles on pourrait faire face à ces circonstances, il résulterait donc que la perte du cinquième ou du sixième n’aurait frappé qu’une partie des rentiers, et que l’autre, grace aux embarras du pays, se trouverait posséder intégralement sa rente. C’est là un point dont M. Gouin ne voudra sans doute pas laisser la solution à d’autres qu’à lui, qui a soulevé cette immense difficulté. Nous sommes impatiens de savoir comment il s’y prendra pour la résoudre.

En Angleterre, vers 1818, quand on s’occupait de la réduction de la dette publique, on prit une mesure qui ne froissa personne. L’intérêt d’une portion des fonds fut alors converti, d’un taux inférieur à un taux plus élevé ; les 3 pour 100 furent portés à 3 et demi ; de cette manière on effectua une réduction assez grande de la dette, en engageant les détenteurs du premier fonds à acheter le dernier à un prix plus élevé. — Une nouvelle opération eut lieu en 1830 ; on essaya de convertir en 3 et demi les 4 pour 100, créés en 1822, mais on inséra dans l’acte cette clause que le nouveau fonds ne serait pas rachetable avant le 5 janvier 1849. On voit que les égards dus à des créanciers ont été respectés dans cette mesure. La nature de la proposition actuelle ne supposant pas même la pensée d’un remboursement amiable, il n’y a donc qu’à se demander si on compte garder avec tous les intérêts les formes légales qu’on n’abandonne jamais en pays civilisé, même dans les exécutions.

Mais supposez que toutes les difficultés de la conversion soient aplanies par l’ordonnance royale insérée au Bulletin des Lois que M. Gouin a laissée en blanc dans sa proposition ; il ne restera plus qu’à s’emparer (comme dit l’article premier du projet) du montant de la réserve de la caisse d’amortissement, et de l’affecter au remboursement des rentes. Nous savons qu’on nous dira que la valeur des terres, étant à 3 p. 100 et même à 2 et demi, et le taux de l’intérêt de l’argent à 3 et demi et à 4, les rentiers s’empresseront tous de prendre des inscriptions de rentes 4 et demi, en échange de leurs