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LA LITTÉRATURE EN DANEMARK.

allemand, était au-dessus de tous les ministres, comtes, barons, cardinaux ; il marchait immédiatement après le pape et le roi. Celui qui avait étudié à Paris était à jamais réputé pour savant. Celui qui y prenait le grade de magister pouvait aspirer aux plus hautes dignités ; on lui donnait le titre de magistratus excellentia, quelquefois celui de venerabilis magistrorurn majestas, et parfois même, dans l’hyperbole poétique, on l’appela deitas. Un grand nombre de Danois fréquentaient aussi cette université, et quatre d’entre eux furent nommés recteurs[1] ; ils faisaient partie de la nation anglicana, et habitaient une maison qui leur avait été donnée, non loin de la Sorbonne. Au XVe siècle, tous les chapitres de Danemark étaient obligés d’entretenir un ou deux étudians à Paris ; au XVe siècle, il est dit de l’évêque de Ribe, Stangberg : « Cet homme savant, qui aima les savans, décida et statua, avec le consentement du chapitre, que personne ne serait admis dans l’assemblée des chanoines sans avoir étudié diligemment trois années dans quelque académie célèbre. »

Mais ces voyages ne furent pas aussi utiles à la science qu’on aurait pu l’espérer. La science universitaire de Paris avait pris une fausse voie ; au lieu de s’appliquer aux recherches érudites, aux discussions sérieuses, elle était tombée dans toutes les controverses étroites, dans toutes les subtilités d’une scholastique puérile. Il fut un temps où l’homme qui voulait passer pour docte et habile n’avait pas besoin de comprendre les philosophes grecs et les historiens latins ; il fallait qu’il étudiât les entitates, les nominalitates, et autres sublimes conceptions du même genre. On proposait alors et on discutait sérieusement des questions comme celles-ci : si quelque chose est Dieu, ou si Dieu est quelque chose ; si Dieu peut savoir ce qu’il ne sait pas, ou ne pas savoir ce qu’il sait ; si c’est un plus grand péché de massacrer mille hommes que de voler une paire de souliers à un pauvre, le dimanche ; si le pape peut abolir la doctrine des apôtres, s’il peut commander aux anges, si, lorsque Lazare ressuscita, ses héritiers étaient obligés de lui rendre son héritage. C’était à qui ergoterait le plus sur ces prétendues idées philosophiques ; c’était à qui saurait le mieux attaquer son adversaire par un dilemme, l’embarrasser par un sophisme, ou lui échapper par un faux-fuyant ; et quand les pauvres Danois s’en allaient chercher si loin ces merveilles de la science, en vérité on ne peut pas croire que leurs voyages pussent contribuer beaucoup aux progrès de l’intelligence dans leur pays. D’ailleurs un grand nombre d’entre eux étaient attirés à Paris bien moins par le besoin de s’instruire, que par l’envie de voir une ville où, dès le XIIe siècle, la mode trônait comme aujourd’hui. Ainsi, au lieu d’assister aux cours de la Sorbonne,

  1. 1312. Henningus de Dania.
    1326. Petrus de Dania.
    1348. Magister Johannes Nicolai.
    1365. Manaritus Magni.