Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/509

Cette page a été validée par deux contributeurs.
505
HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.

sa politique, et combien l’Europe comprenait qu’il n’en pouvait pas avoir une autre. Chacun des traités signés par lui après celui-là marque un pas de plus dans cette politique, et le traité d’Utrecht, avec ceux de Bade et de Rastadt qui le complètent, en est la consommation. Tant qu’a duré le règne de Louis XIV, la guerre, bien que suspendue de temps en temps, a toujours été flagrante entre la France et le reste de l’Europe, parce qu’il y avait à cette guerre des motifs où l’existence même de la nation était engagée. M. Eugène Sue, occupé à regarder le visage de Louvois, ne veut pas voir qu’un territoire qui en est venu à être cerné sur tous les points par des puissances qui, depuis deux cents ans et plus, lui font collectivement ou tour à tour une guerre acharnée, est acculé à cette nécessité de dégager à tout prix ses frontières, ou de passer sous le joug ; et, pour avoir méconnu cette grande nécessité qui domine toute l’époque dont il raconte l’histoire, tout ce qu’il rencontre l’irrite et le fourvoie.

En général, comme les jugemens de M. Eugène Sue pèchent toujours par le même côté, et que l’histoire les réfute toujours par les mêmes faits, c’est toujours le même procédé de raisonnement à lui opposer : rattacher à leurs causes véritables les choses qu’il en a séparées, montrer la liaison de ce qu’il isole. Et vraiment, à propos du siècle de Louis XIV, cela n’est pas difficile ; car jamais, en France, idée politique n’a été conduite si long-temps avec un dessein si marqué, une suite si ininterrompue, une prévoyance si étendue et si manifeste. Ce règne est, quant aux relations avec le reste de l’Europe, tout entier en germe dans le traité des Pyrénées, d’où on le voit poindre et se développer avec un progrès continu jusqu’au traité d’Utrecht, son dernier terme ; et au dedans, il est tout entier dans cette parole : L’état, c’est moi. Unité dans le pouvoir à l’intérieur ; à l’extérieur, unité dans les vues et dans l’action, telle est son expression la plus simple et la plus vraie. L’unité, voilà le grand besoin du xviie siècle et le grand travail de Louis XIV. Et c’est parce qu’il a compris avec une admirable précision d’intelligence, dans les petites choses comme dans les grandes, ce besoin de son temps ; parce qu’il a été au degré le plus éminent, par ses vertus et même souvent par ses vices, l’homme de son époque, que celle-ci lui a décerné ce que l’auteur de l’Histoire de la Marine appelle le sobriquet de Grand.

En résumé, on peut distinguer dans l’histoire de M. Eugène Sue deux parties : l’une qui est l’histoire de la marine proprement dite, l’autre qui est tout-à-fait l’histoire de Louis XIV et de son siècle. La première, en l’isolant par la pensée, nous semble un livre très nourri, très substantiel, qui comble une lacune peu honorable dans les fastes de la nation. L’autre n’est ici que pour représenter un système que, pour notre part, nous nous refusons à accepter, et nous estimons assez le travail de M. Eugène Sue pour nous être cru obligé de justifier notre opinion en réfutant les siennes. Cependant ce système a eu cela de bon que, forçant l’auteur à se couvrir toujours de l’autorité d’un témoignage quelconque, il l’a conduit à produire toutes ces