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RÉPONSE À GEORGE SAND.
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valeur, il suit que tout homme appelé à un acte politique, à une fonction sociale, doit avoir une éducation, c’est-à-dire un développement d’esprit qui soit en rapport avec les droits et les devoirs auxquels il est convié.

Voyez l’avantage d’employer les termes les plus justes et les meilleurs : quand Rousseau définit la loi l’expression de la volonté générale, il est obligé d’ajouter en note que, pour qu’une volonté soit générale, il n’est pas toujours nécessaire qu’elle soit unanime, mais qu’il est nécessaire que toutes les voix soient comptées, car, dit-il, toute exclusion formelle rompt la généralité. Ainsi il arrive au suffrage universel par un incident de logique grammaticale. Si nous disons, au contraire, que la loi est la manifestation de l’esprit humain, nous mettons le droit de concourir à sa création là où est la lumière, et nous sommes dans la sainte nécessité de répandre partout cette lumière, pour étendre indéfiniment le droit.

L’éducation, l’éducation du peuple, voilà le grand besoin, voilà le véritable levier. Les maîtres de la sagesse antique faisaient de l’éducation le corollaire de leur politique ; les publicistes modernes doivent y reconnaître la voie la plus sûre qui puisse mener le peuple au pouvoir. L’homme naît dans l’animalité ; pour qu’il devienne social, il faut qu’il soit élevé dans son esprit et dans son corps : refuser à des hommes non élevés une part dans la manifestation de l’esprit humain, ce n’est pas les reléguer au rang des brutes, c’est attendre qu’ils soient montés au rang qui leur appartient. Je conçois donc, pour le législateur, un double devoir : il ne reconnaîtra le droit que là où l’esprit particulier sera suffisamment ouvert pour concourir à la représentation de l’esprit général, et en même temps il prodiguera ses soins, ses moyens, sa puissance, à répandre partout, à tous les degrés, sous toutes les formes, la lumière qui confère le droit ; il a devant lui une multitude d’hommes ; qu’il la convertisse progressivement en nation de citoyens. Voilà sur quoi je me fonde pour dire que la souveraineté du peuple n’est pas la collection des volontés individuelles.

Ne pas considérer l’éducation et l’instruction du peuple comme la première condition des droits et des progrès politiques, c’est ne pas reconnaître le principe et les qualités de l’intelligence ; c’est croire implicitement à l’égalité naturelle des esprits, erreur qu’il est inutile de dérober à Helvétius. C’est aussi, par une conséquence irrésistible, s’en remettre exclusivement, pour les changemens sociaux, au triomphe de la force.