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de nouveau, il a fallu qu’il fût transporté dans un climat plus doux, sous un ciel meilleur. Il a trouvé ce ciel et ce terrain plus favorable dans le midi de la France ; là il a enfoncé ses racines parmi les cendres encore tièdes et doucement réchauffées de la civilisation romaine ; il a étendu ses rameaux vers ce soleil qui ne s’était pas couché, qui avait toujours laissé un crépuscule errer sur les ruines. Alors la sève s’est ranimée, elle a circulé de nouveau, les branches se sont couvertes de feuillage et de fleurs, mais il manquait encore à ces fleurs un certain éclat de couleur et un dernier parfum. C’est cet éclat et ce parfum que les brises de l’Orient lui ont apporté.


Tels sont, ce me semble, les divers élémens qui ont concouru à produire ce grand fait de la chevalerie, qui est une portion considérable de la civilisation moderne.

Du sein de la barbarie du xie siècle surgit tout à coup un élan sublime dont nous avons dû chercher les causes cachées, mais qui semble jaillir par enchantement des ténèbres, comme une lumière qui perce la nuit. Les sentimens les plus purs, les plus délicats, les plus exaltés, se manifestent dans les ames livrées jusqu’alors aux passions violentes et brutales : par eux se forme tout un système de moralité, dont la base est le dévouement, le désintéressement, l’enthousiasme ; par eux se fonde une religion de l’amour et de l’honneur, religion que personne n’a prêchée, qu’on dirait naître d’elle-même ; un esprit inconnu crée des sentimens nouveaux, enfante des mœurs, des institutions, une poésie nouvelle.

La chevalerie a établi, au moyen-âge, entre les différens peuples, une fraternité, une unité qui fut une préparation à la grande association européenne vers laquelle nous marchons. Un chevalier n’était plus un Français, un Anglais, un Espagnol ou un Allemand, il était un chevalier ; il y eut là comme une grande franc-maçonnerie héroïque qui rapprochait toutes les nations. Eh bien ! pensez-vous qu’à cette époque de morcellement, de division, ce ne fût pas un fait important que cette confrérie universelle qui ralliait les plus nobles ames dans le culte commun des plus généreux sentimens ?

Ce n’est pas tout, l’influence de la chevalerie sur les imaginations et les ames se continue lors même que la chevalerie cesse d’exister ; cette influence survit au moyen-âge. Supprimez la chevalerie de