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dans la chevalerie, mais des effets partiels, rares, interrompus. Ces sentimens ont jeté quelques lueurs et se sont éteints ; ils ont eu quelques fruits qui avortaient rapidement ; mais quand ils ont trouvé pour appui la morale chrétienne, ils se sont développés d’une manière infiniment plus complète, ils ont enfanté non pas une tentative de chevalerie, mais la chevalerie elle-même. Cette absence de haine au milieu des combats, cet oubli de soi-même, cet empressement à porter secours aux opprimés, toutes ces vertus exigées du chevalier sont des vertus chrétiennes. L’honneur même, qualité qui semble purement mondaine, a aussi un côté chrétien ; il y a une alliance intime, profonde, entre l’honneur sans souillure, l’écu sans tache du chevalier et la conscience sans reproche, la robe sans tache du néophyte.

L’amour chevaleresque n’a pu exister qu’à l’ombre du christianisme ; le christianisme seul a mis dans le monde cette union de l’amour et de la pureté que l’antiquité ne connaissait pas. Le stoïcisme était dur, l’épicuréisme égoïste et sensuel, le platonisme plus exalté que tendre. C’est après la prédication de cette doctrine dans laquelle la charité est la première des vertus, c’est après qu’ont retenti dans le monde ces touchantes et sublimes paroles : « Il lui sera beaucoup pardonné parce qu’elle a beaucoup aimé, » c’est alors seulement que l’amour a pu être considéré comme le principe des vertus humaines, et devenir la base d’un code moral. L’histoire des premiers âges du christianisme offre des exemples d’affections chastes et tendres qui font pressentir ce sentiment épuré qui sera l’amour chevaleresque. Ce rapport étrange et attendrissant des évêques mariés avec leurs épouses, qu’ils nommaient leurs sœurs, fait comprendre qu’on est entré dans une période de l’histoire de l’ame humaine où quelque chose de semblable à l’idéal de cet amour pourra exister. Le culte passionné de la Vierge a montré aussi par avance, dans un sentiment religieux, une sorte d’anticipation de ce qui sera plus tard un sentiment humain ; car il suffira d’adresser le même hommage à un être mortel, de faire descendre l’objet de l’adoration désintéressée du ciel sur la terre.

Le christianisme a donc été le principe des sentimens de la chevalerie ; non-seulement il a été le principe de ces sentimens, mais quelquefois il a prescrit directement les vertus chevaleresques. Ainsi le concile de Clermont, en 1025, décréta que toute personne noble de plus de douze ans devait jurer l’observation de certains règlemens devant l’évêque du diocèse. Elle promettait de défendre les faibles,