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DE LA CHEVALERIE.

à-vis de l’église. L’opposition de la chevalerie, encore à son état le plus ancien, fut cette résistance de l’esprit militaire à l’esprit sacerdotal qui se retrouve partout. À l’époque où la chevalerie devint moins sévère, moins exclusivement guerrière, où les influences de la galanterie modifièrent et adoucirent sa rudesse primitive, il se trouva encore en elle un principe d’opposition aux tendances de l’église, et ce fut cette galanterie elle-même, ce fut cet amour chevaleresque qui constituait une moralité spéciale, qui avait sa règle indépendante, et parfois rivale de la règle ecclésiastique. Dans le premier cas, la chevalerie figure vis-à-vis de l’église comme une autre puissance ; dans le second, elle figure comme un autre principe. Les exemples de cette double opposition abondent soit dans l’histoire de la chevalerie, soit dans ce qui est encore son histoire, les romans et romances chevaleresques. Ainsi, le type par excellence de la chevalerie primitive, le Cid, qui est pieux comme doit l’être un héros castillan, n’en a pas moins quelquefois une certaine velléité d’indépendance, et d’une indépendance qui se manifeste assez rudement. Dans le romancero, on le voit dans l’église de Saint-Pierre de Rome, en présence du pape, briser la chaise d’ivoire sur laquelle s’est assis l’ambassadeur de France, et, tirant son épée, parler au saint père avec une arrogance qui l’épouvante un peu.

Ce fait a tellement la portée que je lui donne, que don Quichotte le cite dans un cas analogue pour s’excuser de s’être attiré les anathèmes ecclésiastiques en attaquant des religieux, un jour qu’il faisait de l’opposition contre l’église à sa manière, c’est-à-dire à grands coups de lance.

D’autre part, les poésies des troubadours nous montrent souvent l’amour, base de la chevalerie, en regard et au-dessus du sentiment chrétien. Ainsi, Peyrol, dans une chanson sur la croisade, établit une sorte de débat entre lui et l’Amour. Peyrol plaide pour, et l’Amour contre la croisade. Quelque chose de plus frappant encore, c’est une pièce attribuée à Bernard de Ventadour, et qui probablement ne lui appartient pas. Cette pièce exprime, dans les termes les plus vifs, à quel point l’idolâtrie de l’amour chevaleresque se mettait en rivalité avec le culte de Dieu. Le troubadour est parti pour la croisade ; la religion a triomphé ; l’amant a quitté sa dame et a pris la croix. Mais on voit d’autant mieux quelles étaient l’énergie et l’audace du sentiment profane en présence du sentiment religieux. Voici les paroles de ce troubadour : « Certes, Dieu a bien dû s’émerveiller que j’aie pu m’éloigner de ma dame, et il doit me tenir en grande grace