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LES ÎLES SHETLAND.

attentive (elle ne dormait que vers le matin), elle prêtait l’oreille aux divers bruits qui interrompaient le silence de la nuit, au souffle du vent de mer, aux plaintes de la chouette, au cri aigu des sea fowls, elle entendit un froissement léger non loin de sa cabane, le bruit inusité d’un corps étranger qu’on dressait contre la roche ; ce bruit fut aussitôt suivi de la chute d’une pierre qui roula au fond du précipice avec un long retentissement. Plus de doute, l’ennemi était là ! Eda ne perd pas de temps ; pleine d’émotion et de courage, elle accourt au seul endroit du rocher qui fût accessible. La chute de la pierre n’avait pas déconcerté l’assaillant ; l’échelle dont il s’était muni avait été replacée contre le roc, et un homme en avait déjà franchi les premiers échelons. Eda n’en put douter quand, saisissant les bâtons qui dépassaient le rebord de la corniche elle sentit le poids de cet homme, qui montait rapidement. Le moment était critique, le danger pressant. Eda, recueillant toutes ses forces, essaya de soulever l’échelle et de la rejeter en arrière ; mais l’inconnu y pesait déjà de tout son poids : la jeune fille ne put réussir à la renverser ; l’échelle retomba sur le rocher. Eda ne perdit pas courage ; saisissant un seul bout de l’échelle elle le tira de côté, de manière à la faire glisser le long de la paroi du précipice. Cette fois l’échelle obéit et glissa lentement : l’homme qui montait poussa une imprécation terrible, et, comme il n’était plus qu’à quelques pieds du rebord du rocher, il essaya de s’y cramponner ; mais son poids l’entraîna. L’échelle perdit l’équilibre et tomba avec fracas ; la courageuse fille entendit le bruit sourd d’un corps couvert d’une armure, qui roulait au bas du rocher. L’ennemi était-il mort ? La nuit était profonde, et Eda n’avait aucun moyen de s’en assurer ; cependant, comme elle entendit bientôt, au fond du précipice, des cris et des malédictions, elle ne douta pas que l’assaillant ne fût encore en vie. Ces cris et ces imprécations étaient accompagnés de plaintes que la douleur arrachait à l’inconnu, il était donc blessé ; ces imprécations et ces plaintes portaient toujours du même endroit, la blessure de son ennemi était donc assez grave pour l’empêcher de se relever et de s’enfuir. Eda comprit alors ce qu’elle avait à faire. Elle rassemble au sommet du roc toute la paille et toute la tourbe qu’elle peut trouver, et elle y met le feu. La flamme s’élève pétillante ; Eda l’alimente en y jetant les bancs, les tables et les chaises qui garnissaient la cabane, de sorte qu’à distance on doit croire que la chaumière même est en feu. Ce moyen ne pouvait manquer de réussir. La flamme brille à peine depuis quelques instans, qu’on entend déjà le son des cloches d’un hameau voisin ; bientôt des cris se mêlent au son des cloches ;