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LES ÎLES SHETLAND.

Magnus restait, Magnus ne fut point découragé. Mais au lieu d’aller, comme son imprudent rival, se jeter dans la gueule du loup, il aima mieux essayer de prendre le loup dans ses piéges. Plus d’une fois il s’embusqua derrière un roc ou se cacha sous la mousse, près du chemin que Patrick devait suivre ; mais toujours le comte était accompagné d’une nombreuse garde, ou bien il passait trop loin de Magnus. Un jour cependant, Patrick Stuart s’étant hasardé dans un défilé entre deux collines rocheuses, Magnus, qui le guettait, fit rouler du haut d’une pente escarpée une grosse pierre qui tua son beau cheval de Norwége, et qui écrasa deux des gens de sa suite. Mais Magnus s’était imprudemment montré au moment où il avait vu Patrick renversé. Magnus, stupéfait de le voir se relever vivant, ne se cacha pas assez à temps, car la balle du mousquet d’un des soldats qui accompagnaient le comte vint se loger entre ses deux épaules. Magnus n’était pas mort, mais il ne pouvait plus s’enfuir ; le sang coulait à gros bouillons de sa bouche et de ses narines, et son heure suprême n’était pas éloignée. Patrick le fit attacher à la queue d’un jeune sheltie sauvage qu’on lâcha dans la plaine. — Les manans, une autre fois, s’écarteront peut-être de mon chemin, dit-il au moment où l’animal s’échappait entraînant Magnus à travers les rochers ; l’exemple leur profitera. — Quand le soir le sheltie s’arrêta, épuisé de fatigue, Magnus n’était plus qu’un informe cadavre ; ses membres étaient disloqués ou brisés, et sa chair pendait en lambeaux le long de ses ossemens à demi dépouillés. Eda avait donc perdu ses deux amans comme elle avait perdu sa mère. Patrick Stuart avait causé leur mort ; comment pourrait-elle se venger et les venger tout à la fois ?

Le roc de Grunista, au haut duquel était bâtie la cabane d’Eda, ressemble à une pyramide renversée, ou plutôt à un champignon monstrueux dont la tige s’enfonce profondément dans un sol tout hérissé de rochers. Cette tige est beaucoup plus étroite que la couronne, qui est aplatie au sommet. C’est au milieu de cette petite plate-forme que cette chaumière, seule habitation du rocher, était placée. Pour y arriver quand on venait de la plaine, il fallait de toute nécessité se servir d’une longue échelle qu’on appuyait contre le rebord circulaire du roc. Pendant long-temps les habitans de Grunista s’étaient servis d’échelles établies à demeure dans le rocher, comme les échelles de Louéche en Suisse, mais depuis que le comte des Orcades était venu s’établir à Scalloway, amenant avec lui une bande d’étrangers qui couraient le pays, le rançonnaient et le pillaient, les habitans du rocher avaient détaché les liens qui retenaient l’échelle