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LES ÎLES SHETLAND.

land. Un grès friable par places forme le massif de ces promontoires. De temps à autre, des blocs énormes, détachés de la falaise par les vagues, se précipitent avec fracas dans l’Océan, où ils forment de nouveaux écueils ; d’autres restent suspendus à mi-côte, comme les murailles d’une citadelle dont le canon a miné la base. Le pêcheur fait glisser rapidement sa barque le long de ces roches que le pied d’une chèvre peut mettre en mouvement, et qui l’écraseraient sous leur masse. Ces rocs d’un gris de fer, veinés de rouille sanglante, hérissent en partie le promontoire de Fitfull et la côte ouest de Lerwich, dont ce promontoire est le dernier prolongement. Sur l’un de ces rocs qui s’avance dans la mer, ceint d’écume comme la proue d’un navire, et dont le grès poli a présenté plus de résistance aux envahissemens des flots, on aperçoit un amas de constructions informes, de tours à demi renversées, de murailles lézardées et pendantes, d’un gris sombre comme le rocher. Ces murailles et ces tours, construites de pierres brutes et de moellons liés à peine par un grossier ciment, ont cependant résisté au travail des ans, plutôt par la solidité de leur masse et de leur assiette que par le fini de leur construction ; quelques-unes des tours principales sont encore couvertes de ces dalles de grès qui, dans les îles Shetland, remplacent l’ardoise ou la tuile. Le lierre ne croît pas le long de ces murs et n’enveloppe pas ces tours d’un vêtement de verdure ; le lierre est une plante inconnue à ce pays ; ses branches n’auraient pas assez de force pour se retenir à la pierre, dont le vent furieux les aurait bientôt détachées. La mousse seule et le lichen les couvrent par places, le lichen de marbrures bleuâtres ou argentées, la mousse de larges taches des couleurs les plus variées. Ces mousses, noirâtres à la base des murs, jaunissent, brunissent, et prennent des teintes d’un rouge de sang, en approchant du haut des tours et des créneaux qui les couronnent. Les jours de tempête, éclairé de livides lueurs, le vieil édifice qu’elles revêtent en entier, semble tout souillé de sang ; mais si le soir le soleil, au moment de se cacher dans les flots, déchire les nues orageuses et dore ces tours antiques de ses derniers et splendides rayons, on dirait un de ces palais fantastiques aux toits de flammes, aux murailles de feu, qu’habitent après leur mort les héros et les demi-dieux scandinaves.

Ces tours, ces murailles à demi écroulées, et tout cet ensemble de massives constructions, forment le château de Scalloway, que Walter Scott semble avoir esquissé dans la description qu’il nous a laissée du manoir de Jarlshof, l’habitation de l’udaller Magnus Troil. Quoique