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LES ÎLES SHETLAND.

produit de ces souscriptions ne peut rien contre des causes de misère auxquelles une généreuse pitié et des sentimens de profonde justice chez les riches seigneurs pourraient seuls remédier, en comblant l’abîme d’une monstrueuse inégalité. Malheureusement, comme le répètent les journaux des Shetland, on a pour maxime, dans ces îles, que la charité doit toujours venir du dehors : les faits ne prouvent que trop l’exactitude de cette assertion. Dans l’année 1832, par exemple, une effroyable tempête enleva, d’un seul coup, cent trois pêcheurs shetlandais ; la plupart laissaient leurs nombreuses familles dans un état de complet dénuement. On doit naturellement penser que les témoins d’un si grand désastre durent tout faire pour y porter remède ; mais, quels que fussent les efforts de personnes charitables pour recueillir un peu d’argent dans les îles et subvenir aux besoins les plus pressans de ces malheureuses familles, elles ne purent trouver un seul farthing dans tout le Shetland (not one farthing was subscribed). À Londres et dans le sud de l’Écosse, on recueillit heureusement 3,000 livres environ ; sans ce secours, venu du dehors, les deux tiers des membres de ces familles privées de leurs chefs eussent succombé aux horreurs de la misère et de la faim. Doit-on maintenant s’étonner si chaque jour la détresse du pays augmente dans une effrayante proportion ? Elle doit nécessairement s’accroître en raison de la charité des voisins, de l’indifférence des résidens, de la dureté des absens.

Cependant les paysans de ces îles sont industrieux, et, comme tous les peuples d’origine danoise ou norwégienne, ils ont du goût pour l’agriculture ; mais, travaillant toujours pour autrui, et attachés à la glèbe comme nos serfs du moyen-âge, leur industrie est stationnaire, et l’agriculture, chez eux, ne fait guère de progrès. Ils sont plus éloignés des cantons agricoles de l’Écosse que les insulaires de Skye et de Long Island, et cependant leurs instrumens aratoires sont plus perfectionnés que ceux dont on se sert dans les Hébrides. Au lieu d’employer, par exemple, le cas-chrom (espèce de bêche recourbée), en usage chez les Hébridiens et les montagnards du Caithness et du Sutherland, ils se servent de la charrue à bras, mais à un seul bras, il est vrai. Avec le cas-chrom, huit hommes, en cinq jours, ne peuvent cultiver autant de terrain qu’en labourerait un seul homme, avec une seule charrue, en un seul jour. Partout les gens de la campagne ont leurs routines et y tiennent ; exiger d’eux réflexion, raisonnement et application du raisonnement, c’est beaucoup trop. Les Shetlandais ont leurs habitudes routinières, qu’ils défendent avec opiniâtreté et,