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infortunés mourir de faim et de misère après une agonie de tout un hiver. Les lairds qui habitent les îles, ayant moins de besoins, sont moins avides ou moins impérieux ; ils compatissent aux malheurs qu’ils voient, et ils s’efforcent d’adoucir des maux dont ils mesurent toute l’étendue, non pas en ouvrant leurs bourses, ce serait trop exiger d’eux, mais en n’enlevant pas à leurs vassaux leurs dernières ressources.

Ce sont surtout les pauvres pêcheurs qui sont victimes de l’avidité des absens. Les stewards des lairds émigrés font travailler ces pêcheurs au plus bas prix possible, et leur salaire est loin d’être en rapport avec les fatigues et les dangers auxquels ils sont exposés sur mer. Ainsi, dans le courant de l’année 1836, la pêche du hareng a produit, dans les Shetland, vingt-sept mille barils de poisson salé, dont la moitié de qualité supérieure ; ces vingt-sept mille barils ont été vendus 24,525 livres sterling. Les lairds peu nombreux qui tiennent la mer, et les gros pêcheurs auxquels quelques-uns d’entre eux ont loué leur droit de pêche, se sont partagé 20,025 livres, et ont divisé le reste entre les petits pêcheurs qui, formant le quart de la population, n’ont eu chacun que 1 livre 16 shillings pour prix de leur travail de toute la saison. Il y a là certainement manque d’équité et cause de ruine et de dépopulation pour ces îles. Le moindre pêcheur de nos côtes gagne plus d’argent dans une semaine que le pêcheur shetlandais n’en gagne dans une année. Il est vrai que chez nous la pêche est libre, et que, dans les îles Shetland, non seulement la terre, mais la plage que découvre la marée basse, mais encore la mer qui avoisine cette plage, appartiennent au seigneur. Il arrive souvent, par exemple, que des baleines viennent échouer dans les golfes peu profonds, ou sur les plages vaseuses des îles ; on croirait que la dépouille de ces animaux doit appartenir à l’homme qui les a découverts, et qui va les attaquer et les harponner au péril de sa vie ; il n’en est rien : le produit de ces chasses dangereuses est réclamé par le seigneur dont le domaine est le plus proche. Quand le seigneur est dans le pays, il fait certainement une bonne part aux pêcheurs ; mais, quand il est à l’étranger, à peine ses délégués laissent-ils à ces pauvres gens quelques barils d’huile et quelques ossemens pour se chauffer. Ce sont là les principales causes de cette profonde misère des îles du nord de l’Écosse, dont tous les journaux anglais entretiennent leurs lecteurs. Destitution in the Highlands, tel est le titre de nombreux articles qui s’adressent quotidiennement à la pitié des riches du Royaume-Uni. De longues listes de souscripteurs suivent d’ordinaire ces lamentables articles ; mais le