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REVUE. — CHRONIQUE.

doute, et peut-être plus tôt qu’on ne le suppose, cette exubérance même de détails ; le xviiie siècle, qui est le siècle même de l’analyse, a bien eu son essai systématique, informe si l’on veut, mais d’une incomparable hardiesse, dans le chaos même de l’Encyclopédie. Le commerce d’Aristote aidera certainement la science contemporaine dans les tentatives qu’elle non plus ne manquera pas de faire. Le système aristotélique viendra, comme représentant de l’antiquité grecque, prendre une place incontestée auprès de ces grandes constructions cosmologiques, que notre émulation va ravir à l’Allemagne, et auprès de ces autres synthèses formidables, dont nous devrons bientôt la révélation aux labeurs de l’orientalisme, et devant lesquelles le génie occidental lui-même aura peut-être à s’incliner. La synthèse aristotélique, il est à peine besoin de le dire, est la plus vaste et la plus profonde que le monde grec, père du nôtre, ait transmise à nos études et à notre admiration.

Ne croyez point que pour elle, il s’agisse le moins du monde de ces hypothèses gigantesques, mais injustifiables, dont le bon sens de notre siècle aurait si vite raison, et qu’il dédaignerait même à si juste droit. Je ne vous demande point de m’en croire sur parole, moi qui, venant ici au nom même du péripatétisme, pourrais être suspect de partialité. Mais sans vous en rapporter ni à mon témoignage, ni même à celui des vingt-un siècles qui nous ont précédés, interrogez Linnée, interrogez Buffon, interrogez surtout Cuvier, ce grand naturaliste, dont la parole retentissait naguère dans l’enceinte du Collége de France, et dont la science n’a point encore réparé la perte prématurée ; ils vous diront, et vous en croirez des juges aussi compétens, dans des études qui ont fait la gloire impérissable et l’occupation constante de leur génie, ils vous diront que jamais une observation plus sage et plus patiente, une analyse plus laborieuse et plus sagace, n’a été au service d’un esprit plus synthétique.

Ainsi, Aristote ne sera pas seulement pour nous un modèle de synthèse ; la science moderne pourra encore, toute circonspecte qu’elle est, se fier à la certitude de ses observations. Elle pourra, en toute sécurité, recevoir son témoignage sur des faits qu’elle ne peut plus étudier, ni dans les mêmes circonstances ni sous les mêmes influences ; car, vous le savez, si la part d’Aristote est immense dans les sciences rationnelles, c’est-à-dire dans celles qui, comme la logique, sortent tout entières de la raison humaine, cette part n’est pas moindre dans les sciences naturelles, où la pensée de l’homme est bien toujours l’agent qui les crée, mais n’est plus le sujet même qui les fournit. Ce n’est donc pas la philosophie toute seule qui doit gagner à cette renaissance du péripatétisme, ce n’est même pas l’histoire de la philosophie, non plus que l’histoire générale de l’esprit humain, qui doivent toutes seules en faire leur profit ; c’est la science contemporaine toute entière. Dans sa méthode à la fois, et dans ses détails, dans ses besoins de synthèse et dans ses travaux d’analyse, elle peut consulter avec fruit celui qui fut l’oracle scientifique de tant de siècles, et qui peut encore être l’utile conseiller du nôtre.