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LA DERNIÈRE ALDINI.

est venue d’avance pour préparer son établissement de campagne ; c’est une dame très belle et très bonne. Alors, madame, il m’est venu en tête l’idée d’entrer chez vous et de vous intéresser à mon désir, afin que vous m’accordiez votre protection toute puissante auprès de votre mari, et qu’il veuille bien accéder à la demande de mes parens, lorsqu’ils la lui adresseront. Puis-je vous demander aussi, madame, de vouloir bien garder mon petit secret, et de prier M. Lélio de le garder également ; car ma famille blâmerait beaucoup cette démarche, qui n’a pourtant rien que de très innocent, comme vous le voyez.

Elle avait débité ce discours avec une volubilité si britannique, en saccadant ses mots, en traînant sur les syllabes brèves, et en étranglant les longues ; elle faisait de si plaisans anglicismes, que je ne songeai plus à voir Alezia dans cette jeune lady à la fois prude et téméraire. La Checchina, de son côté, ne songea plus qu’à se divertir de son étrangeté. Moi, qui n’étais guère en train de prendre plaisir à ce jeu, je me serais volontiers retiré, mais le moindre bruit eût trahi ma présence et jeté l’épouvante dans le cœur ingénu de miss Barbara.

— En vérité, miss, répondit la Checchina en cachant une forte envie de rire derrière un flacon d’essence de rose, votre demande est fort embarrassante, et je ne sais comment y répondre. Je vous avouerai que je n’ai pas sur M. Lélio l’empire que vous voulez bien m’attribuer…

— Ne seriez-vous pas sa femme ? dit la jeune Anglaise avec candeur.

— Oh ! miss, s’écria la Checchina en prenant un air de prude du plus mauvais ton, une jeune personne avoir de telles idées ! Fi donc ! Est-ce qu’en Angleterre l’usage permet aux demoiselles de faire de pareilles suppositions ?

La pauvre Barbara fut tout-à-fait troublée.

— Je ne sais pas si ma question était offensante, dit-elle d’un ton ému, mais plein de résolution. Il est certain que ce n’était pas mon intention. Vous pourriez n’être pas la femme de M. Lélio, et vivre avec lui sans crime. Vous pourriez être sa sœur… Voilà tout ce que j’ai voulu dire, madame.

— Et ne pourrais je pas aussi bien, dit Checca, n’être ni sa femme, ni sa sœur, ni sa maîtresse, mais demeurer ici chez moi ? Ne puis-je pas aussi bien être la comtesse Nasi ?

— Oh ! madame, répliqua ingénuement Barbara, je sais bien que M. Nasi n’est pas marié.