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REVUE. — CHRONIQUE.

phie humaine. Hégel surtout a proclamé son admiration et sa reconnaissance, et sa loyale modestie a signalé tous les emprunts que son système avait faits à celui du Stagyrite. Il n’est pas de plus noble ni de plus précieux aveu.

Cet exemple de l’Allemagne n’a certainement point été perdu pour nous. On aurait tort d’en méconnaître l’influence, dans cette rénovation des études péripatéticiennes qui, depuis quelques années, signale notre pays, et qui s’accomplit sous le patronage d’une des classes de notre immortel Institut. Mais cet exemple ne nous était pas nécessaire. Sans lui, et par la force seule des choses, le péripatétisme aurait reparu parmi nous.

J’en ai pour garans tout ce qu’a fait la philosophie française depuis vingt-cinq années, et l’esprit même de notre temps, qu’elle a si bien compris et si bien secondé, après en avoir reçu toutes ses directions principales. Nous pouvions nous passer de l’Allemagne, mais elle nous aura servis puissamment, et, sans parler de secours plus récens qu’elle nous a fournis, je dois rappeler ici, chose d’ailleurs trop peu remarquée, que c’est à elle surtout et à l’inspiration de ses études que nous devons la première histoire régulière de la philosophie, qui ait été tentée parmi nous, et qui parut, il y a plus de trente ans. J’insiste à dessein sur ce fait, dont il me semble qu’on n’a pas assez tenu compte. Pour moi, je pense que l’Histoire comparée des systèmes de Philosophie, toute restreinte qu’elle était, a contribué certainement à la direction nouvelle que prit la philosophie française vers l’année 1811, et qu’elle dut aussi en grande partie aux travaux solitaires, mais si originaux et si profonds de M. de Biran. Il n’est rien comme une revue générale des idées et des systèmes antérieurs, pour montrer les vices et les lacunes des idées et des systèmes dominans. Qu’on ne l’oublie pas, la publication de l’ouvrage de M. de Gérando a précédé de plus de sept années le mouvement que M. Royer-Collard et M. Laromiguière donnèrent à la philosophie nationale, sous les dernières années de l’empire.

Vous savez tous, messieurs, ce que ces deux illustres professeurs ont fait pour elle : il ne m’appartient point d’en parler, à moi qui ai pu les entendre, quand leurs élèves, leurs disciples fidèles, pourraient vous dire, au besoin, tout ce que leurs leçons ont eu de puissance et de fécondité. Partis l’un et l’autre de doctrines toutes diverses, ils tendaient cependant au même but et conspirèrent à produire le même résultat, c’est-à-dire une réaction contre la philosophie du siècle précédent. L’attaque de M. Laromiguière, quoique moins directe, moins vaste et moins préméditée, eut presque autant d’effet que celle de M. Royer-Collard, plus franchement hostile, plus générale, et qui ne perdit rien de son énergie et de son éclat pour rester enfermée dans le cénacle de l’école. Leur enseignement fut de bien courte durée ; les points de discussion, débattus et mis en lumière, furent bien peu nombreux ; mais à dater de ce jour, déjà si loin de nous, un grand fait était acquis à la philosophie, et l’on doit ajouter à notre siècle : de ce jour, l’on put affirmer que le xixe siècle était entré dans une nouvelle voie philosophique. L’on put affirmer qu’il avait un caractère à lui, complètement distinct, et qui le sépare