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DE LA FABLE DE PROMÉTHÉE.

sence de l’infini ; si c’est être croyant de garder le culte des morts et la foi dans l’éternelle résurrection, si c’est être ami de Dieu, de le chercher, de l’appeler, de le reconnaître sous chaque forme du monde visible et invisible, c’est-à-dire dans chaque moment de l’histoire, et dans chaque lieu de la nature, sans toutefois le confondre ni avec l’une ni avec l’autre de ces choses, alors celui qui écrit ces lignes est tout le contraire de l’impie.

Je ne nierai pas, cependant, qu’en Europe des voix nombreuses ne s’élèvent contre le mouvement général que la pensée reçoit de l’impulsion de la France ; alarmés par ces clameurs, faut-il revenir sur nos pas et nous renier nous-mêmes ? Ce retour ne serait plus possible, supposé même qu’il fallût le désirer. La France ressemble aux Israélites marchant dans le désert. Nous sommes égarés, si vous le voulez. Il est vrai aussi que nous avons laissé en arrière plusieurs idoles chéries. Maint peuple dit de nous : Où vont-ils ? Ils ont perdu la voie. Mais pourtant, dans ce désert de l’égarement, chaque pas nous rapproche de la terre promise.

D’ailleurs, si le repos nous manque autant qu’on le prétend, ce n’est pas nous qui l’avons ôté du monde. Je remarque que le genre humain n’a connu de véritable paix qu’au sein de la civilisation grecque. Alors, sans inquiétude sur sa propre fragilité, satisfait de sa condition sur la terre, l’homme aimait, idolâtrait la vie ; mais que ce moment fut court ! La civilisation des Romains n’est déjà qu’agitation et discorde, la guerre entre les patriciens et les plébéiens ayant commencé chez eux. Ce fut bien pis quand le christianisme vint à paraître. Depuis ce jour, saisi d’ambitions infinies, méprisant le monde comme indigne de ses regards, l’homme s’est hâté sans relâche vers un but invisible. Vous nous reprochez notre inquiétude : hélas ! voilà plus de deux mille ans que le genre humain ne s’est assis nulle part.

Nous sommes ici, non pour nous reposer et nous réjouir dans la tranquille possession de la foi du passé, mais pour nous encourager les uns les autres à la recherche et à la possession de l’Éternel, qui est passé, présent et avenir tout ensemble.

Assez de voix, d’ailleurs, nous crient que l’art est désormais sans objet, que personne n’en veut plus, que d’autres intérêts lui ont pour jamais succédé Dans cette lutte d’un seul contre tous, pressé à la fois par les croyans et par les sceptiques, ne trouvant, autour de lui, qu’entraves et difficultés renaissantes, faut-il que l’artiste se soumette sans réserve à la merci du plus grand nombre ? Tel n’est point mon avis. De même qu’aux époques du moyen-âge les plus ennemies de l’intel-