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DE LA FABLE DE PROMÉTHÉE.

où le poète se permit de traiter à son gré, c’est-à-dire d’arranger, d’interpréter, de changer, d’étendre arbitrairement le sens des traditions consacrées ? Pour moi, il me semble que, lorsque telle chose arriva, la révolution religieuse était déjà plus qu’à demi consommée. Je ne m’étonne point que le vieil Eschyle ait été traduit devant un tribunal pour se justifier de ses sacriléges ; mais ce qui me surprend, c’est qu’il ait été absous. Les lyriques grecs qui nous sont connus méritaient d’ailleurs la même accusation. Évidemment Pindare ne cherche dans l’Olympe que des emblèmes de morale, et partout il tranche le dogme dans le vif, pour en faire sortir sa philosophie hautaine. Pense-t-on qu’Anacréon fût orthodoxe quand il égalait la joyeuse, la belle, la mélodieuse cigale aux grands dieux de l’Ida ? Et Platon lui-même, quelle était sa croyance au moment où il faisait dire à l’un des interlocuteurs de Socrate : « Je jurerai par un des dieux, ou, si tu l’aimes mieux, par ce platane ? » Que dirai-je de la poésie latine, qui naquit avec Lucrèce dans l’athéisme, et finit avec Juvénal par la satire de tous les cultes ? Que l’on me montre, dans tout cet intervalle, un seul poète qui ait eu la foi rigide du sacerdoce. Ce ne sera ni le philosophe Virgile, ni le sceptique Horace.

Que conclurai-je de tout cela ? Une seule chose : que l’immutabilité du dogme ne se trouve point dans l’art. Ce dernier corrige, embellit, accroît, divinise son objet ; il peut tout, excepté se borner à une servile représentation. Voulez-vous donc vous attacher d’une manière inébranlable à la foi de vos pères ? défiez-vous du culte des statuaires, des peintres, en un mot, de tous ceux qui, sous l’apparence d’une imitation parfaitement fidèle, ne font, en définitive, que s’éloigner de plus en plus et irrévocablement de l’objet représenté ; les plus religieux vous entraînent à leur insu vers des formes différentes des anciennes. Quand ils croient adorer comme vous et dans les mêmes termes, ils développent, ils agrandissent, ils accroissent, en effet, le dogme qui vous est commun avec eux. Vous prononcez ensemble les mêmes paroles, il est vrai ; mais que le sens en est différent dans votre bouche et dans la leur ! Nourris de la foi des ancêtres, vous possédez, avec le repos du cœur et de l’intelligence l’harmonie dont l’art humain le plus accompli n’est qu’un écho affaibli et égaré. Gardez-vous donc de vous endormir dans la foi agitée des poètes ; vous pourriez vous réveiller dans le désespoir.

Que si j’étais, pour mon compte, assez heureux pour avoir conservé, sans aucun mélange de réflexion, la foi que j’ai reçue en naissant, tenez pour assuré que, sur un tel sujet, je ne composerais pas de