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DE LA FABLE DE PROMÉTHÉE.

du christianisme avant le Christ. Ce serait même là le sujet d’un ouvrage bien digne d’être entrepris de nos jours ; on serait étonné de voir combien de prophéties chrétiennes émanaient de tout le monde païen long-temps avant l’Évangile. Depuis long-temps les ressemblances des philosophes grecs avec les apôtres, du Phédon et de saint Jean, ont été remarquées ; il resterait à montrer le même accord dans l’art et dans la poésie. Ces pressentimens ne se montrèrent nulle part mieux que chez les tragiques. L’art antique n’ayant pu accepter tout entier le dogme de la fatalité, le chœur resta dans le drame comme une protestation perpétuelle contre le destin et les violences de la scène. Les droits éternels de la justice, de la liberté, de la sainteté, de la conscience, furent conservés dans sa bouche. Aussi, lorsqu’on lit assidûment ces poètes, on est de plus en plus ravi des sentimens de sainteté qu’ils contiennent en abondance. Véritablement, le Jupiter que Sophocle adore n’est plus le même que celui d’Homère, mais plutôt, comme disaient les pères de l’église, un Jupiter chrétien, Jovem christianum. Dans les deux Œdipes quelle piété auguste ! quel spiritualisme ailé ! Nous voilà déjà bien loin de l’enivrement de l’idolâtrie ! Surtout quelle charité véhémente au sein de laquelle le dogme de l’amour, révélé par saint Jean, semble toujours près d’éclore ! Lorsque Antigone invoque ces lois immuables qu’aucune main n’a écrites, que les dieux n’ont point faites, qui sont plus fortes que le destin, plus puissantes que Jupiter, n’est-ce pas là une parole de l’éternel Évangile ? et ne dirait-on pas d’une vierge martyre et baptisée dans les sources inconnues du monde naissant ? Or, cette observation ne s’applique pas seulement à Sophocle ; elle est aussi très vraie pour ce qui regarde Eschyle, et même Euripide, malgré les différences infinies qui, d’ailleurs, les séparent ; le premier à demi oriental, et qui rappelle dans ses chœurs la langue d’Isaïe ; le second, qui se rapproche du génie des modernes par les mêmes symptômes de défaillance morale et de langueur passionnée. Je n’ai rien dit de Pindare, quoique, sous l’apparente idolâtrie de l’art et de la parole, il jette peut-être les éclairs les plus extraordinaires et les plus divins oracles. Au cœur du paganisme se perpétue ainsi la révélation d’un même avenir, et tous ces esprits précurseurs se rencontrent dans la tradition universelle du Dieu de l’humanité. Il semble même que les Pères aient eu un sentiment vague de ce progrès continu de la religion, lorsqu’ils répétaient aux païens ce mot profond dont il m’est impossible de faire passer la force dans notre langue : Nous avons été des vôtres. On ne naît pas chrétien, on le devient. De vestris fuimus. Fiunt, non nas-