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vous reconnaissez que tous les hommes, et par conséquent tous les membres quelconques d’une société représentent plus ou moins la puissance de l’esprit humain, et alors vous êtes obligé de leur accorder à tous une part plus ou moins grande dans la direction de la société qu’ils composent, et par conséquent vous ne pouvez mettre la souveraineté du peuple ailleurs que dans la collection des souverainetés individuelles ; ou bien, si vous voulez refuser à certains une part quelconque dans la direction de la société dont ils sont membres, vous êtes obligé de leur dénier aussi une part quelconque dans la représentation de l’esprit humain, et alors vous les reléguez au rang des brutes. De là votre système mène droit à l’esclavage ; car l’homme social ne peut exister qu’à la condition d’avoir de doubles rapports, les uns vis-à-vis de lui-même, les autres vis-à-vis de la société. Il vit à la fois d’une vie particulière comme individu, et d’une vie générale comme citoyen, sans qu’il soit possible de séparer la première de la seconde. Donc, si certains membres de la société sont indignes d’exercer l’une, ils sont nécessairement incapables de gouverner l’autre, et vous devez dès-lors mettre l’individu en tutelle comme le citoyen. Et cette tutelle absolue, cette confiscation du libre arbitre en toutes choses, qu’est-ce, sinon l’esclavage ?

Ce n’est pas là que vous voulez venir, nous le savons et vous n’oseriez pas tirer vous-même de telles conclusions de vos prémisses. Mais elles n’en sont pas moins rigoureuses, et n’en condamnent pas moins certainement les adversaires de la souveraineté du peuple, résultat des souverainetés individuelles. Pourtant nous voulons accorder que vous ayez raison en ce point, et que le peuple, en nous servant avec vous d’une autre définition que votre pensée ultérieure nous force de supposer complètement différente de la première, a droit de vivre et de se développer, mais non de gouverner la société. Puisque le peuple n’est plus toute la société, il n’en est donc plus qu’une partie. Si cette partie de la société n’a pas le droit d’intervenir dans le gouvernement, elle ne pourra donc vivre et se développer que suivant le bon plaisir de l’autre partie, de la société qui occupera le gouvernement. Cette autre partie, c’est, dans votre système, la bourgeoisie. Donc s’il plaisait à cette bourgeoisie nécessaire, indestructible et toute puissante, comme vous l’appelez, d’empêcher le peuple de vivre et de se développer, il faudrait que le peuple cessât de se développer et de vivre. La bourgeoisie souveraine, en tant que représentant la souveraineté de l’esprit humain, peut tout faire, sans que le peuple qui ne représente que lui-même, c’est-à-dire rien, puisse se