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siége furieux contre les Maures, qui échouèrent dans leur entreprises comme dans toutes celles qu’ils renouvelèrent depuis. Leur dernière attaque est de 1798, et le mur des demi-lunes porte encore la trace de leurs boulets. La place est bâtie sur une presqu’île qui forme l’extrémité orientale de la montagne des Sept-Frères ; au midi s’élève le Gébel-Zatut, ou mont des Singes, et à l’est, le fameux mont Abyla, aujourd’hui Acho, qui commande la ville, et qui formait l’une de colonnes d’Hercule ; l’autre était formée par le mont Calpe, qui est aujourd’hui la montagne de Gibraltar. Au-delà il n’y avait plus de terre, non plus ultrà. La devise herculéenne est vraie encore de nos jours, si on la prend, comme les anciens la prenaient sans doute eux-mêmes, dans un sens figuré ; au-delà, en effet, il n’y a plus de terres pour l’intelligence, la civilisation cesse, la barbarie commence et règne en souveraine absolue et sanglante. De l’adouar des sauvages tribus d’Angiara jusqu’au kraal du Hottentot, dans un effrayant espace de plusieurs milliers de lieues, que de terres à conquérir à la civilisation ! que de races à éduquer ! que d’enfans à rendre hommes ! que de tribus à élever au rang de nations ! Le non plus ultrà du grand voyageur mythologique est une espèce de défi jeté à l’avenir par l’antiquité ; ce défi, nous l’avons accepté, et c’est à notre siècle qu’il appartient de reculer les colonnes d’Hercule et, avec elles, les limites du monde intellectuel. Il est douloureux de se dire que tant de terres de ce globe, qui nous semble pourtant si petit, sont depuis tant de siècles perdues pour la pensée, et que tant d’obstacles s’opposent à leur culture, à leur conquête. Il suffit d’un coup d’œil jeté sur la carte du monde pour reconnaître la jeunesse de l’humanité : c’est un enfant encore aux langes ; elle se croit vieille, parce qu’elle a souffert beaucoup, mais elle échappe à peine à son berceau et ne marche encore qu’en trébuchant. Ce passé qui lui paraît si long n’est qu’un jour dans l’éternité des âges, et elle appelle siècles des heures ; si nous mesurons son avenir à la grandeur de son œuvre, cet avenir est immense, car, si en soixante siècles qu’elle compte dans son histoire, elle a fait si peu, combien ne lui en faudra-t-il pas pour exécuter ce qui lui reste à faire !

Revenons à Ceuta. Cette ville est un poste militaire d’une grande importance ; elle ressemble beaucoup, par sa position et la forme de son rocher, à la place opposée de Gibraltar ; entre les mains d’un peuple aussi industrieux et aussi riche que les Anglais, elle serait devenue une forteresse inexpugnable ; telle qu’elle est, la défense en est encore facile ; elle est fortifiée de tous les côtés et plus qu’à l’abri