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Les eaux du détroit sont d’un bleu ravissant, et la corvette, légère et fine voilière, fendait l’abîme sans presque faire un mouvement

À peine était-elle en mer qu’une nuée de petits caboteurs s’étaient venus ranger sous l’ombre de son pavillon ; ils la suivaient à distance, réglant leur marche sur la sienne, et arborant eux-mêmes les couleurs britanniques. C’étaient des contrebandiers qui se mettaient ainsi à l’abri de la poursuite, en ce cas pourtant fort légitime, des douaniers espagnols. Gibraltar est, pour les Anglais, un poste commercial bien plus qu’un poste militaire, et les escadres qu’ils entretiennent dans ces parages n’ont, au fond, d’autre mission que de protéger la contrebande, et par elle, l’importation illicite en Espagne des produits britanniques. L’Espagne le sent bien, mais elle subit la loi du plus fort. Cette violation constante des droits internationaux amène des conflits perpétuels entre les autorités locales des deux nations, et toutes les fois que la douane espagnole peut user de représailles avec ses iniques et puissans voisins, elle le fait avec empressement.

Nous étions partis de Tanger à dix heures, à deux heures nous étions à Gibraltar. J’y étais depuis plusieurs jours lorsqu’un matin le capitaine du Scount, M. Holt, le plus complaisant et le plus doux des marins, vint me proposer de partir avec lui pour Ceuta ; j’acceptai, et le lendemain nous étions en mer. Le vent était contraire, et il nous fallut louvoyer ; nous touchâmes et débarquâmes d’abord à Algéziras, où la corvette devait prendre pratique, afin de n’être pas obligée de faire quarantaine ; les bâtimens de la provenance de Gibraltar sont condamnés à cette dure formalité dans les ports espagnols, comme ceux qui viennent des côtes de Barbarie. La raison en est que ces derniers sont reçus à Gibraltar sans quarantaine, à moins qu’ils ne soient chargés de laines venues de l’intérieur et tenues pour suspectes : il résulte de cette facilité que Gibraltar est assimilé, par l’administration sanitaire de l’Espagne, aux villes du Maroc ; mais on échappe à cette mesure en allant prendre pratique, ainsi que nous le fîmes, à Algéziras, qui est en face, de l’autre côté de la baie. Nous remîmes à la voile après une visite de politesse au capitaine-général et un salut de vingt et un coups de canons qui nous fut rendu ponctuellement.

D’Algéziras nous remontâmes la baie en suivant de très près la côte espagnole, qui est solitaire et assez aride ; le vent alors était bon, nous filions nos dix nœuds à l’heure ; coupant comme une flèche le détroit du nord au sud, nous fûmes bientôt à portée des côtes d’Afrique. Les moindres détails en étaient visibles à l’œil nu, je découvrais