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DE LA CHEVALERIE.

qu’il en fût autrement. Ces sentimens et ces mœurs furent un type abstrait, un but élevé qu’on n’atteignit pas toujours, et dont on resta souvent fort éloigné ; mais ils provoquèrent de nobles efforts, et par là exercèrent une grande influence sur la vie réelle. À ceux qui penseraient que l’idéal chevaleresque a été composé d’après les romans, que l’imagination a été ici plus vraie, en quelque sorte, que la vie ; à ceux qui croiraient que la vie elle-même n’a été qu’une poésie en action imitée de la poésie écrite, à ceux-là je répondrais par les faits que j’ai déjà cités, par ceux que je citerai encore, et qui tous établissent que la chevalerie a existé. Si l’idéal chevaleresque ne s’est jamais réalisé d’une manière absolue, où trouver un système de moralité dont on ne puisse en dire autant ? Le système le plus parfait et le plus divin de tous, le système de la morale chrétienne, n’a été à aucune époque pratiqué dans sa rigueur ; il n’en a pas moins exercé une action puissante sur les temps barbares et sur les temps corrompus, bien que ces temps soient restés à une grande distance de l’idéal chrétien. Dans l’histoire de la chevalerie, on trouve toujours des voix qui s’élèvent pour se plaindre de sa décadence, pour affirmer qu’il faut remonter encore plus haut pour la trouver dans toute sa pureté ; mais si l’on en concluait qu’elle est une pure chimère, il faudrait tirer une semblable conclusion de ce que, dans tous les siècles, des voix se sont fait entendre au sein de l’église chrétienne, pour affirmer qu’elle était dans un temps de décadence, qu’il fallait remonter plus haut pour arriver à la pureté primitive, et nous savons même que ces âges primitifs de l’église n’étaient pas irréprochables ; nous trouvons sur ce sujet, dans les Pères, des confidences assez singulières. Même dans les cachots des martyrs, il y avait place pour certaines faiblesses de cœur ; à une époque encore plus reculée, les épîtres de saint Paul nous montrent dans les premières églises de grands désordres ; comme dit Saint-Réal, rien n’est pur parmi les hommes.

La chevalerie a fait comme la religion, elle a modifié les mœurs dans le sens de son principe ; c’est la plus grande influence qu’une institution puisse avoir en ce monde. Certainement la générosité n’a pas dominé dans les mœurs du moyen-âge ; il n’en est pas moins vrai que c’est à la chevalerie qu’appartiennent presque toutes les actions généreuses de ces temps ; c’est l’esprit de la chevalerie qui inspirait au Prince Noir ces égards délicats dont sa noble courtoisie entourait le vaincu de Poitiers.

La libéralité, vertu chevaleresque par excellence, avait sa source dans le sentiment de générosité. La libéralité fut portée souvent jus-