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hyperbole ridicule a été presque complètement réalisé par toute une secte. Au moyen-âge, de même qu’il y avait des mystiques de la religion, il y eut des mystiques de l’amour. Ceux-ci s’appelaient les Galois ; c’était une association, une espèce de franc-maçonnerie amoureuse composée d’hommes et de femmes ; pour montrer que l’amour était supérieur aux influences des saisons et des élémens, ils allumaient de grands feux pendant l’été, et l’hiver ils portaient des vêtemens légers, si légers, qu’un grand nombre moururent de froid aux pieds de leurs dames ; c’est le dernier terme de l’exaltation, dépassant toutes bornes et aboutissant au plus parfait ridicule.

Comme une impulsion violente produit toujours une réaction, il y eut dans le moyen-âge, des réfractaires, des opposans à cette religion de l’amour chevaleresque. Je ne parle pas ici des infidélités pratiques à la sévérité de la doctrine, on en pourrait citer de nombreux exemples, mais des réclamations qui s’élevaient fréquemment contre la théorie elle-même, du sein de la poésie qui en était l’organe. L’un des plus anciens troubadours, Marcabrus, blasphéma contre l’amour, et Raimbaud de Vaqueiras osa dire, en propres termes, qu’on pouvait faire quelque chose de bien et de beau sans aimer.

Ici doivent se placer aussi ces poésies satiriques se renouvelant à toutes les époques du moyen-âge, qui attaquent l’amour chevaleresque et provoquent une vive polémique pour et contre les femmes. Cette polémique fut reprise au xvie siècle par Martin Lefranc, auteur du Champion des dames, et par ses adversaires. Ses deux derniers produits sont la satire un peu brutale de Boileau contre les femmes et le poème un peu fade de Legouvé en leur honneur. Ainsi, l’amour chevaleresque fut une véritable religion qui eut ses sectateurs, ses dogmes, sa morale, et, pour que rien n’y manquât, ses dissidens et ses hérétiques.

iv.
MŒURS CHEVALERESQUES.

Ce sont les sentimens qui font les mœurs, les mœurs sont des sentimens transformés en habitudes : aussi l’étude des sentimens chevaleresques m’a déjà conduit à dire quelque chose des mœurs de la chevalerie, et, en parlant des mœurs, je serai obligé de revenir sur les sentimens Et d’abord, je dois faire remarquer que l’idéal des sentimens et des mœurs chevaleresques ne s’est jamais complètement réalisé ; la faiblesse de la nature humaine n’a pu permettre