Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/293

Cette page a été validée par deux contributeurs.
289
DE LA CHEVALERIE.

différent du sens ordinaire, non comme un état passager de l’ame, mais comme une qualité permanente, une vertu : ainsi, en parlant de Venceslas, roi de Bohême, Froissart dit qu’il fut noble, sage et amoureux. Froissart entendait par là que Venceslas possédait toute l’élévation et toute la délicatesse de sentiment, toute la perfection de savoir-vivre qu’exprimait alors le mot amoureux.

L’amour chevaleresque donnait lieu à des engagemens spirituels qui empruntaient les formes de la féodalité ; le chevalier prêtait serment entre les mains de sa dame, comme le vassal entre celles de son seigneur ; il devenait son homme lige. Le troubadour Peguilain le dit expressément. Un autre troubadour, faisant allusion à cette association des idées chevaleresques et de la féodalité, appelle sa dame beau seigneur, et déclare tenir d’elle terres et château. — On m’a reproché de confondre la chevalerie et la féodalité ; je ne crois pas mériter ce reproche ; je crois distinguer ces deux choses qui sont fort différentes, quoique, dans plusieurs circonstances, comme dans celle-ci, elles offrent des points de contact ; la féodalité est l’histoire du moyen-âge, et la chevalerie en est le roman, mais c’est un roman historique.

Le premier axiome de la doctrine de l’amour chevaleresque, c’était l’incompatibilité absolue de cet amour avec le mariage. D’autre part, peu importait qu’une dame fût mariée, qu’un chevalier fût marié ; sans qu’il y eût le moindre sujet de scandale, la dame et le chevalier n’en contractaient pas moins un engagement indissoluble.

Dans le poème de Gérard de Roussillon se trouve un exemple curieux et caractéristique de ce genre de relation. J’emprunte la traduction que M. Fauriel a donnée de ce morceau :

« Charles, qui sera, si l’on veut, Charles Martel ou Charles-le-Chauve, aime et épouse, à ce qu’il paraît, d’autorité une dame que le romancier ne nomme pas, mais dont il fait la fille ou la parente d’un empereur de Constantinople. Cette dame et Gérard s’aimaient depuis longtemps, et le comte aurait pu la disputer au roi ; mais, par générosité et dans l’intérêt même de celle qu’il aime, il croit ne point devoir la priver de la couronne impériale, il consent à ce qu’elle épouse l’empereur et se résigne à prendre de son côté pour femme Berthe, la sœur de son amie. Les deux mariages se sont faits, à ce qu’il paraît, dans le même temps et dans le même lieu, et le moment est venu où les deux couples vont se séparer pour se rendre chacun à sa demeure et à ses affaires respectives.

« Ce moment donne lieu à une scène doublement remarquable, et par l’importance qu’elle a dans la suite du roman, et comme un