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REVUE DES DEUX MONDES.

Le déclin assez prompt de la chevalerie ne doit pas étonner. La chevalerie élevait l’homme si fort au-dessus de lui-même, qu’il devait naturellement retomber bientôt. Plus cet idéal qu’elle proposait était sublime, plus il avait chance de recevoir des démentis nombreux. La preuve en est dans ces témoignages aussi anciens que la chevalerie elle-même, et qui attestent que dès-lors elle ne régnait pas dans sa pureté, et que, née à peine, elle était déjà corrompue. Elle avait donc en elle, dès son principe, un germe de mort ; au reste, toutes les institutions humaines en sont là, toutes apportent en naissant ce qui doit les faire mourir. Le XVe siècle porta à la chevalerie le dernier coup par l’établissement des armées permanentes. Alors le courage fut enrégimenté, la discipline remplaça l’esprit d’aventures ; les armes à feu achevèrent la destruction de la chevalerie ; le canon établit une formidable égalité entre les guerriers à pied et les guerriers à cheval, entre la vaillance exaltée, et le courage tranquille. À Crécy, où parurent les premières pièces d’artillerie, elles tiraient sur la chevalerie et battaient en brèche le moyen-âge, préparant l’assaut qu’allaient lui livrer les générations et les idées nouvelles. L’Arioste ne s’y est pas trompé ; dans son poème, Roland jette au fond de la mer avec indignation l’arme foudroyante du roi Cimosco, qui fut, dit-il, plus tard retrouvée par le démon, son inventeur, et il adresse à cette arme une imprécation véhémente : « Par toi la gloire militaire est détruite, par toi le métier des armes est sans honneur. »

On a tenté à plusieurs reprises de relever l’institution de la chevalerie : à la fin du XVIe siècle, en 1589, l’archevêque de Bourges, à la clôture des états-généraux, en fit la proposition ; mais on ne put pas plus rétablir la chevalerie qu’on ne peut rétablir une religion à laquelle personne ne croit ; on ne rend pas la vie au passé. La poésie chevaleresque elle-même a prophétisé, pour ainsi dire, l’état du monde après qu’elle aurait disparu, dans l’histoire d’Ogier, un des personnages du cycle de Charlemagne ; Ogier revient sur la terre au bout de deux cents ans ; tout a changé, et nul ne sait ce qu’il veut dire quand il parle de l’âge chevaleresque de Charlemagne, âge dont personne ne se souvient plus.

iii.
SENTIMENTS CHEVALERESQUES.

Après avoir envisagé la chevalerie dans son ensemble, j’en étudierai successivement les élémens principaux : d’abord ce qui forme