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échappe par une ruse. Ce qu’il y a de plus chevaleresque, c’est la vignette publiée par Gærres : elle représente le guerrier à deux genoux devant son ennemie qui sourit ; on croirait, en regardant cette vignette, voir un chevalier du moyen-âge dans son armure, agenouillé sur un tombeau ; évidemment la chevalerie, qui n’était pas encore dans le texte, est déjà dans la vignette.

Les Arabes, avant Mahomet, ont eu une poésie qui commence à être connue, surtout depuis la publication malheureusement interrompue des lettres de M. F. Fresnel sur l’ancienne poésie des Arabes. Ces lettres font assister de la manière la plus vive à cette vie du désert, à ces mœurs d’une violence et d’une férocité excessive. L’un des héros célébrés dans ces poésies antérieures à Mahomet, Shanfara, est une espèce de loup qui a fait vœu de tuer cent personnes d’une tribu ennemie, et qui est tué lui-même à la quatre-vingt-dix-neuvième. Eh bien ! parmi ces mœurs farouches, quelques usages témoignent d’une certaine générosité. Ainsi, quand on vient à reconnaître qu’un homme à qui l’on doit l’hospitalité est un ennemi, qu’il a tué quelqu’un de la tribu, au lieu de l’immoler immédiatement, on lui donne trois jours d’avance ; il part de toute la vitesse de son cheval, et l’on attend que les trois jours soient écoulés, après quoi la tribu se précipite sur ses traces et cherche à l’atteindre à travers le désert ; s’il est atteint, on l’égorge sans pitié. Mais en s’imposant la loi de lui accorder trois jours, ses ennemis lui ont donné une chance considérable d’échapper à leur vengeance.

Dans tous ces faits il est intéressant de voir le bon côté de la nature humaine, — la disposition généreuse de cette nature, disposition qui se manifestera d’une manière éclatante et glorieuse dans le code et la poésie chevaleresques, — se débattre, pour ainsi dire, contre les instincts brutaux et sauvages de la nature primitive ; c’était là ce que je me proposais surtout de montrer par ces exemples choisis dans des pays et des siècles divers. Comme je ne cherche pas encore d’où nous est venue la chevalerie, je ne parle pas des Arabes d’Espagne, de cet Almanzor qui, avec une exaltation toute chevaleresque, faisait secouer, chaque soir de bataille, la poussière de ses habits, et la faisait conserver avec soin pour y être enseveli. Je n’examine point si la chevalerie chrétienne a reçu quelque chose des Arabes ; je voulais seulement chercher d’abord la chevalerie là où elle n’est pas, là où au moins elle n’est pas complète, avant de l’étudier là où elle est ; je voulais surprendre la plante dans son germe, dans son embryon. Maintenant notre étude deviendra plus simple, plus facile ; car ce que nous allons