Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/272

Cette page a été validée par deux contributeurs.
268
REVUE DES DEUX MONDES.

l’Amérique du Nord, il retrace une foule d’exploits, dans lesquels ne se montrent ni pitié ni générosité, mais seulement haine et vengeance implacables. Puis, l’Aigle noir raconte qu’un jour ayant surpris les enfans d’un chef ennemi, comme il allait les égorger avec délices, le souvenir de ses propres enfans le désarma. Un éclair de générosité ou plutôt d’humanité avait lui dans cette ame. Quant au rôle, qui sera si noblement rempli par la femme au temps de la chevalerie, et qui consiste à enflammer le courage des combattans, on répugne à en apercevoir les germes dans certaines coutumes féroces, qui tiennent cependant, mais de bien loin, à un principe analogue. Chez les Abungs, à Sumatra, les jeunes guerriers qui ont été à la chasse des crânes, et qui reviennent chargés de ces horribles trophées, les déposent aux pieds des jeunes filles : c’est leur moyen de plaire. Voilà une étrange galanterie, une galanterie cannibale ; mais enfin, c’est le commencement de l’empire des femmes sur le courage, dans des conditions atroces.

Les mœurs barbares ressemblent beaucoup aux mœurs sauvages ; seulement les barbares sont perfectibles, les sauvages ne le sont point ; la civilisation ne les pénètre pas, elle les dévore, tandis que les peuples barbares sont capables de recevoir et même de raviver la civilisation ; eh bien ! leurs mœurs ne sont pas plus chevaleresques que celles des sauvages. Les mœurs barbares, au moment où elles passent à la civilisation, donnent naissance aux mœurs héroïques ; les héros d’Homère sont encore des barbares, mais des barbares qui commencent à se civiliser. Dans l’âge héroïque apparaissent quelques jours de chevalerie, bien rares, bien vagues encore, mais qu’on distingue avec joie dans la nuit des temps primitifs. Thésée parcourant la Grèce pour combattre les monstres, et aussi les géans, les brigands, les félons, qui pillent et tuent les voyageurs, Thésée est conduit par un sentiment peu différent du sentiment qui produit les aventures chevaleresques. Il va aussi redresser les torts, défendre les faibles ; il est en quelque sorte le plus ancien des chevaliers. Ce qui n’existe pas encore, c’est l’amour, mobile du beau moral ; il manque à Thésée d’avoir une dame pour être un chevalier parfait

Dans l’Iliade et dans l’Odyssée, les mœurs héroïques sont présentées dans toute leur violence, et on peut le dire, dans toute leur brutalité. Les héros sont sans pitié pour leurs ennemis vaincus, ils les foulent aux pieds encore palpitans et les insultent après les avoir percés ; ils les raillent en les égorgeant. Achille traîne le cadavre d’Hector autour de Troie ; Ulysse et Télémaque sont sans merci pour