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vote, par un vote décisif, par un vote qui engage presque toute la session, de voter avec M. Guizot et ses amis contre M. Thiers et les siens ; en un mot de faire pencher la balance parlementaire du côté droit, eux œuvres encore toutes récentes du côté gauche dans les élections.

Et quelle question que cette question de l’intervention, qui touche à tout, qui est devenue plus brûlante que jamais, par les sollicitations du gouvernement espagnol, par les progrès du prétendant et par les espérances que ces progrès ont fait naître au nord et au midi de l’Europe, au sein des cabinets qui ne nous sont pas favorables ! D’un côté, l’honneur et l’intérêt de la France, sa sécurité intérieure, sa considération au dehors, ses engagemens avec ses alliés ; de l’autre, l’éventualité d’une démarche immense, la suspension de ses réformes et de ses améliorations pacifiques, et un surcroît de dispositions défavorables chez ses adversaires, secondé peut-être par nos embarras ; sans compter la responsabilité pour la chambre d’un ministère renversé par ceux-là même qui veulent son maintien… Jamais, on en conviendra, une législature ne se vit placée, dès son début, sur un terrain, plus glissant.

Les devoirs du ministère envers lui-même étaient plus pressans, mais aussi moins difficiles à remplir. M. Casimir Périer avait laissé une sorte de tradition politique que n’ont certainement oubliée ni M. de Montalivet ni M. Guizot, ni même M. Thiers, qui a dû comprendre aussitôt la marche qu’on se disposait à suivre. Ceci consiste à s’avancer droit sur une chambre nouvelle, comme avait fait M. Périer, et à la forcer d’accorder une éclatante approbation, — ou à frapper un de ces coups décisifs que les chambres nouvelles ne frappent guère, à moins que ce ne soit à leur insu. Le ministère actuel avait d’autant moins à hésiter, que, malgré ses actes, qui parlent assez haut, on était convenu en quelque sorte qu’il n’a pas de politique, que son système n’est pas seulement la négation de tout système (ce qui en serait déjà un), mais que son système participe de tout, de la droite, de la gauche, ou du centre, selon l’occasion.

M. Guizot et ses amis, dont la politique conservatrice a pris l’engagement de ne pas troubler l’esprit d’accommodement que chacun semble vouloir apporter dans les affaires, et qui s’étaient d’ailleurs assez mal trouvés, dans la session dernière, d’une vivacité que leurs amis du second ordre traduisaient en rudesse, M. Guizot et ses amis avaient leur rôle tracé dans la mêlée qui se préparait : soutenir le ministre dans une question de politique où ils se trouvaient, par exception, penser comme lui, donner ainsi des gages d’esprit de conciliation, et enfin, on nous permettra cette petite supposition, prendre du terrain chez lui, et le saisir au corps, en combattant coude à coude avec lui dans le même rang.

Une seule nuance d’opinion dans la chambre, et nous serions plus exacts en disant un seul homme, n’avait pas d’intérêt positif à faire tracer nettement la situation, et à tout dire en deux séances. C’était M. Thiers. Et cependant qui a abordé la question avec plus de franchise que M. Thiers ? qui s’est